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Paris - Compte-rendu : Kun Woo Paik accède à la maturité

Encore une victoire de Jeanine Roze dont le large public des Dimanche matin au Châtelet a pu constater avec bonheur que le pianiste Coréen Kun Woo Paik accède, à juste 60 ans, à la plus rayonnante maturité. Celui qu’on avait trop cantonné chez nous dans la grande virtuosité de Liszt et de Prokofiev ou dans le répertoire français, vient de donner une mémorable version du testament pianistique de Beethoven. Ses trois dernières Sonates sont au clavier ce que les trois ultimes Symphonies de Mozart sont à l’orchestre ou les trois opéras Da Ponte à l’univers lyrique : un Himalaya.

L’ascension ne pose aucun problème à ce pianiste de haut vol. On s’en doutait un peu. Mais il ne suffit pas d’avoir des doigts dans ce parcours où l’oxygène parfois se raréfie: encore faut-il se maintenir en altitude d’un sommet à l’autre. Un détail - si l’on ose le mot – qui ne trompe pas : les mouvements lents, si essentiels dans ces trois chefs-d’œuvre, ne connaissent aucune baisse de tension. Ce faisant Kun Woo Paik n’insiste jamais, ne pousse jamais la mélodie. Il reste pudique, mais bouleversant. Il n’a aucun rival à ce niveau où il rejoint les Arrau, les Serkin et les Brendel pour la hauteur de la méditation.

Paik ne sollicite jamais le texte musical. Combien, en effet, ont trouvé un succès facile en succombant aux tentations du jazz dans l’ineffable Arietta de la Sonate op 111 ! Ici, tout est juste, évident, pesé au trébuchet jusqu’à l’illusion de l’improvisation : c’est l’âme légère de la musique. Mais ces épures sont d’un maître coloriste, d’un magicien de la lumière qui éclaire par transparence l’essence de la musique. Il n’oublie pas la chair dans ces jeux délicats du forgeron Beethoven : pas une note n’a manqué à l’appel, pas un trille n’a été détimbré.

Paik a voulu prendre d’un bloc tout ce massif sublime, refusant avec sa modestie coutumière et son courage de marathonien, l’interruption des applaudissements entre les œuvres jusqu’à ce que la perfection atteinte dans la fugue et le finale de la 31e Sonate ne provoque une décharge de reconnaissance de la part du public. Décidément, l’heure est venue pour que Kun Woo Paik enregistre la bible du piano, ce qu’il a commencé chez Decca(1).

Jacques Doucelin

Châtelet, le 19 novembre 2006

(1)Premier volet de l’intégrale en cours, les Sonates nos 16 à 26 sont déjà disponibles (Decca 475 6909)

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Le programme détaillé du Théâtre du Chatelet

Photo : DR

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