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Paris - Compte-rendu - Dans la salle. Tristan et Isolde selon Peter Sellars et malgré Bill Viola.

Passons sur la vidéo envahissante de Bill Viola. Quelque part entre les interludes qui firent les beaux jours de l’ORTF et Blair Witch Project, son travail pesant, à la symbolique complaisante, embarrassait une production qui se suffisait à elle-même : la preuve, lorsque la projection cessait, l’impact de la direction d’acteur de Sellars prenait soudain un relief autrement saillant.

L’idée phare de nous faire Tristan sur le proscénium et dans la salle (les chœurs de la fin du I, le cor anglais, le marin de Toby Spence où au deux les appels de Brangäne, les deux derniers des balcons), sans décors, et en costumes sans époque, suffisait. Sellars a bien compris que Tristan est un opéra intimiste, et lorsque le philtre opère, l’assombrissement de la scène crée le trouble sans autre effet. Pour le seul instant d’éclat de toute la partition, le finale du I, l’éclairage à blanc de tout le vaisseau de la Bastille saisit le public pour le transporter au cœur de l’action, prouvant que la lumière peut déclancher à elle seule une émotion irrépressible.

Ce minimalisme inspiré doit se débarrasser du commentaire falot du vidéaste, et d’ici la reprise de cette production en novembre, Sellars devrait nettoyer quelques scories : il est inutile de laisser si longtemps le Roi Marke à quatre pattes (faut-il d’ailleurs l’y mettre ?) après qu’il eut découvert les amants au II, et au lieu de le faire entrer puis ressortir par deux fois, mieux vaudrait le laisser assister à tout le duo d’amour, témoin impuissant. Toujours le Roi Marke : ses frais de toilette au III lorsqu’il revient en amiral de la flotte sont inutiles, et créent une incohérence esthétique criante. Pourquoi abstraire si totalement Tristan de toute époque, mieux de tout cadre, pour soudain convoquer un costume militaire ? Incohérence regrettable qui venait gâcher un troisième acte dont le metteur en scène n’a pas su trouver la conclusion : son Isolde chantant sa mort comme en récital est un point faible que les visions aquatico-résurectionnistes de Viola ne sauvent pas.

Pourquoi Sellars a-t-il baissé les bras alors que tout son spectacle possède une cohérence, une force qui rend justice à la dramaturgie implacable de Tristan ? Salonen réussissait un premier Acte à la fois minéral et narratif comme nous ne l’avions jamais entendu : tempos amplissimes, qui permettaient à ses chanteurs de prendre tout l’air nécessaire pour leurs longues phrases. Son second acte manquait de trouble, d’érotisme, trop versé dans la mort déjà, et s’étiolait après le duo d’amour. Au III, il retrouvait ses couleurs désespérées, mais restait de glace. Avouons que l’Orchestre se surpassa, visiblement inspiré par le finnois ; le retour des grands chefs dans la fosse de Bastille commence à porter ses fruits.

Plateau disparate : Heppner demeure un Tristan de première grandeur, mais durant toute la matinée il n’a pas phrasé une seule fois ; nous avions deux Isolde : Meier incandescente, d’une beauté tour à tour radieuse et torturée, campait un personnage finalement assez sombre, bien plus incarné que le Tristan, banal scéniquement,de Heppner, déséquilibrant le couple ; mais la vraie voix d’Isolde, c’était Yvonne Naef, qui nous faisait une Brangäne somptueuse, de timbre trop clair : les moyens vocaux sont phénoménaux, l’actrice consommée. Selig rendait à Marke toute son humanité, le Melot tranchant de Marco-Buhrmester campait en deux gestes son destin d’assassin, et Toby Spence visait juste comme à son habitude, aussi bien en berger qu’en marin. Point noir, le Kurvenal à la justesse improbable de Jukka Rasilainen.

Que nous réserve la reprise avec Gergiev à l’automne ? La distribution sera en tous cas totalement différente, avec le Tristan à ne pas manquer de Clifton Forbis.

Jean-Charles Hoffelé

Richard Wagner, Tristan et Isolde, Opéra Bastille, le 24 avril, puis le 28 et les 4 et 7 mai.

Programme de l’Opéra Bastille

Wagner en DVD

Photo: Eric Mahoudeau
 

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