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Nikolai Kuznetsov – L’ineffable mélancolie russe – Compte-rendu

 
Comment expliquer cette onde magique qui parcourt l’échine lorsque le pianiste pose les doigts sur le clavier et lance les premières notes du 2Concerto de Rachmaninov. C’est comme une voile qui s’enfle, un navire qui prend le large, doucement, vers on ne sait quel cap. Pourtant, l’œuvre est archi rabâchée, depuis 1901, lorsque le compositeur russe enfin sorti d’une période de sombre abattement, eut ce coup de génie. Pourtant, et plus encore, les 3et 4e Concertos sont  considérés comme l’apogée de son écriture pianistique.
Mais le charme du Concerto en ut mineur, malgré quelques puristes grincheux, qui ont tendance à le traiter de musique de paquebot, opère toujours et a opéré encore avec le brillant Nikolai Kuznetsov, encore peu connu en France bien que le Monte Carlo Piano Masters l’ait couronné en 2021.
 

© nikolaikuznetsov.com
 
En fait ce moscovite, né en 1994, élève de Nikolai Lugansky et Andrei Pisarev au Conservatoire Tchaïkovsky, affiche déjà un palmarès plus que flatteur, puisqu’il a été distingué notamment au concours Ricardo Viñes 2018 (1er Prix et la totalité des prix spéciaux) et en beaucoup d’autres. Mais russe, il est, russe il demeure, et les drames successifs de la pandémie et de la guerre n’ont pas aidé à lui faire déployer ses ailes. 
Ce fut donc une chance de l’entendre salle Gaveau – on le retrouvera cet été au Festival du Vigan, cette fois en récital.(1) Voilà une personnalité, un toucher, une sensibilité avec lesquels il faut compter : si le premier mouvement du concerto cherchait un peu à imposer son climat, à s’accorder en profondeur avec l’Orchestre du CRR de Paris, peu enclin à l’alanguissement, car ce sont des jeunes d’une énergie explosive, l’Adagio a créé un moment de rêve, de douceur, imprégné de cette intense mélancolie que certes le monde entier peut ressentir mais que les Russes savent si bien faire remonter à la surface. A chacun d’y dérouler les paysages intimes qui l’emmènent loin dans le temps ou l’espace.
Puis a éclaté la bombe pianistique, dans le final, avec une élégance virevoltante, une intensité fiévreuse, et un sens des plans sonores qui faisait que le chant langoureux déployé par l’orchestre ne noyait pas les injonctions du clavier ni la complexité de l’écriture du compositeur. Moment très fort, enrichi de façon significative par trois bis, le foudroyant Libertango de Piazzolla, la délicatesse toute chopinienne du Nocturne op.19/4 de Tchaïkovski, et l’Etude « Révolutionnaire » de Chopin, lancée comme un défi, avec une violence qui n’ôtait rien à la beauté de son tracé.
 
Autre atout de ce concert, la fougue irrésistible de l’Orchestre du CRR de Paris, dirigés par Pierre-Michel Durand avec un engagement et une disponibilité que salue l’organisatrice de ces concerts, Marie-Automne Peyregne, laquelle collabore souvent avec lui : voilà toute une escouade de jeunes talents, pressés d’en découdre, qui débordent par leur nombre et la qualité de leurs talents déjà très affutés les proportions modestes de la Salle Gaveau. Ce sont les Arènes de Vérone qu’il leur faudrait pour donner la pleine mesure de leur passion musicale ! Et la 9Symphonie de Chostakovitch, donnée en première partie, fut un moment d’exaltation, de brio, de rythme endiablé qui a mis la salle en joie, chacun donnant jusqu’au bout de son envie, notamment les percussions, qui jouent comme s’ils étaient dans le Walhalla, déclenchant le tonnerre …
 

Jacqueline Thuilleux
 

(1) Festival du Vigan, le 16 juillet 2023, www.festivalduvigan.fr . Château de Fonscolombes, dans le cadre des Musicales dans les Vignes, le 17 juillet2023 (lesmusicales83@gmail.com)
 
 
Paris, Salle Gaveau, 25 mai 2023.

Photo © nikolaikuznetsov.com

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