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Nemanja Radulovic, Sascha Goetzel et le Borusan Istanbul Philharmonic Orchestra au Théâtre des Champs-Elysées – Orient-Express – Compte-rendu

Directeur charismatique du Borusan Istanbul Philharmonic Orchestra, le viennois Sascha Goetzel (photo) dirige volontiers le Simón Bolívar Symphony Orchestra, et la comparaison avec Gustavo Dudamel, le tempétueux Vénézuélien qui a rendu cet orchestre célèbre, est une évidence : non que le BIPO, composé de musiciens émérites et venus de toute la Turquie, ait quelque rapport avec les jeunes déshérités que El Sistema dirige vers la musique, mais parce que les deux chefs surfent sur la même vague de générosité, d’enthousiasme et d’ardeur frénétique qui galvanise leur musiciens.

Dans ces conditions, dire que le concert du BIPO au TCE, sous la baguette de son chef attitré, fut une sorte de potion magique pour des spectateurs trépignant d’enthousiasme est peu ! Depuis 2008, le travail accompli par Goetzel, à la tête de cette superbe formation qui fête ses dix-huit printemps est spectaculaire. On sait la qualité des musiciens turcs, qu’ils soient d’obédience traditionnelle ou reliés au patrimoine classique européen, on en a constamment des exemples avec de prestigieux solistes et des festivals raffinés. Mais l’effet produit par cet orchestre que l’on connaît mal est de taille, car il se place au niveau des plus grandes philharmonies européennes : un velouté des cordes dont on rêverait pour Wagner, des bois vifs, frais, des vents éclatants et surtout un élan, une  réactivité fusionnelle avec le chef, comme aux aguets à ses moindres directives.
 

Nemanja Radulovic et le BIPO © Oezge Balkan
 
On a pu juger de l’étendue de cette palette avec l’écriture si riche de l’Oiseau de Feu de Stravinski (Suite de 1945), dont le foisonnement ressortait dans le moindre de ses coups d’éclats et de ses alanguissements ensorcelants. Le concert, qui culminait sur cette fresque orientalisante, avait débuté sur un Caprice à la Turque de 1956, dû au compositeur Ferit Tüzün (1929-1977), qui fut chef principal à Ankara, après avoir travaillé à l’Opéra de Munich : une formidable ode aux rythmes anatoliens, comme un kilim dont les motifs se mettraient à bondir. Islamey, orchestré par Liapounov, à partir de la fantaisie caucasienne inspirée pour le piano à Balakirev par une mélodie tatare, a moins convaincu : la pièce a paru brouillonne, tant tout s’y entrechoque sans respiration.

Après le Caucase, le plateau anatolien et avant la Russie, un goût d’Arménie, inséré comme un diamant dans ce voyage pittoresque : Goetzel n’avait pas mal choisi son soliste en invitant comme locomotive le vertigineux Nemanja Radulovic, avec lequel il finissait une tournée. Chaque apparition du phénomène électrise et déclenche des ovations que l’on réserve plutôt aux rock stars. Il en a l’étoffe, l’allure, la chevelure en folie –cette fois façon iroquois – et séduit par sa gentillesse et son sourire rayonnant. Si doux, si fort ! Archet en folie donc, mais superbement maîtrisé, comme à l’ordinaire, pour le Concerto en ré mineur de Khatchatourian, qui laissait pantois, comme son bis, le 24e Caprice de  Paganini, et enfin une plongée dans Bach, qui le montrait capable d’introversion, d’arrêt sur lui-même.
 
La réponse de l’Orchestre était du même ordre : les musiciens ardents supporters de leur soliste arborant des mines épanouies, que l’on voit trop rarement aux prestigieuses formations viennoises ou berlinoise, voire françaises ! Une joie qui a explosé dans le Kocekce, bis final déchaîné, dû au compositeur turc Ulvi Cemal Erkin (1906-1972). On sait que Goetzel œuvre pour la Music for Peace Foundation à Istanbul. On lui souhaite de garder longtemps cette énergie bienfaisante.
 
Jacqueline Thuilleux

Théâtre des Champs-Elysées, le 13 décembre 2018.

Photo © Satoshi Aoyagi

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