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Nelson Goerner, Paul Daniel et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine au 10e Festival L’Esprit du Piano – Brio et tendresse – Compte-rendu

L’Esprit du Piano franchit le cap symbolique de sa 10e édition. Depuis le départ, le festival fondé par Paul-Arnaud Péjouan, entièrement axé sur le piano (classique et jazz), a prouvé qu’il répondait à un véritable besoin de la vie musicale bordelaise. Avec un taux de remplissage moyen dépassant les 85% cette année, le directeur artistique a le sourire. L’amoureux de clavier aussi : de Bruce Brubaker à Ivo Pogorelich, de Monty Alexander à Grigory Sokolov, d’Arcadi Volodos à Jacky Terrasson, l’affiche 2019 le comble. Et les talents en devenir n’ont pas été oubliés, avec Benedek Horváth, Hiromi, Célia Oneto-Bensaïd, Nicolas Gardel et Rémi Panossian ou encore John Gade, présent au côté de Philippe Bianconi pour la version à deux pianos du Deutsches Requiem de Brahms avec le Chœur de l’Opéra de Bordeaux sous la direction du remarquable Salvatore Caputo.
 

Nelson Goerner © Jean-Baptiste Millot

Pas de festival sans sa rituelle soirée avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine : Nelson Goerner (photo) était pour l'occasion de retour à Bordeaux après une longue absence (sa dernière apparition remonte à l’époque où l’Orchestre se produisait encore au Palais des sports ...). Avec le Concerto n° 2 de Frédéric Chopin, un grand classique du répertoire est au programme de ce qui constitue le premier concert de l’artiste argentin avec Paul Daniel (les auditeurs de Radio Classique auront pu le savourer en direct). Une magnifique rencontre dont l’évidence a séduit le public d’un auditorium plein à craquer. Impossible il est vrai de résister à la poésie frémissante que le soliste imprime à l’ouvrage d’un compositeur de 19 ans seulement.
Peu spectaculaire, le Concerto en fa mineur n’en recèle pas moins quantité de difficultés que Goerner, en orfèvre virtuose, assume avec une fluidité et un naturel confondants. Le subtil mélange de brio et de tendresse qui caractérise d’emblée le Maestoso initial donne le ton d’une interprétation au cours de laquelle le pianiste peu continûment s’appuyer sur un merveilleux chef lyrique. Car c’est bien de chant qu’il s’agit dans une partition imprégnée de bel canto. Quel bonheur que ce Larghetto ; le maestro britannique y répond aux plus subtiles inflexions du soliste, avant un rondo final où, au clavier comme au pupitre, chacun s’attache à faire vibrer et bondir la musique, sans précipitation inutile, avec les coloris idoines et un remarquable sens du détail. Intensément vécu, sans dramatisation inutile, le Nocturne op. 48 n° 1 prolonge idéalement ce splendide moment concertant.
 

Paul Daniel © F. Desmesure

Côté orchestre, les curieux de partitions rares auront été heureux d’entendre – et pour la plupart de découvrir – la belle Symphonie n° 2 d’Elsa Barraine (1910-1999), que l’on sait gré au directeur musical de l’ONBA d’avoir programmée. Trop oubliée, l’ancienne élève de Paul Dukas (une classe de composition où Messiaen fut son condisciple) montre un art très maîtrisé dans cette partition en trois mouvements, datée de 1938, sur laquelle plane la menace de la guerre – Barraine avait d’ailleurs envisagé de sous-titrer sa symphonie « Voïna » (guerre en russe). Paul Daniel sait rendre compte de cette dimension par la tension qu’il imprime à la musique, mais sans l’alourdir ni l’écraser. Tout au contraire, il préserve une grande lisibilité de la texture dans le mouvement initial et le finale –  où les timbres des instrumentistes bordelais (splendide harmonie !) font merveille – et distille une sombre poésie dans la prenante Marche funèbre centrale.

Le programme se referme avec une partition phare du répertoire français, née au cœur des plus fastes années de la Société Nationale de Musique. Paul Daniel prend à bras le corps l’inoxydable Symphonie en ré mineur de César Franck pour une interprétation intense et foisonnante d’où la logique thématique de l’ouvrage ressort avec beaucoup de clarté au fil d’un discours dont la souplesse et le relief montrent la parfaite entente du maestro et de ses troupes. De la belle ouvrage !

Alain Cochard

Bordeaux, Auditorium, 21 novembre 2019 // Festival L’Esprit du Piano, jusqu’au 7 décembre : espritdupiano.fr/programmation-2/esprit-du-piano-2019/

Photo © Jean-Baptiste Millot

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