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Mycelium de Christos Papadopoulos à la Biennale de la Danse de Lyon – Voyage sensitif – Compte-rendu
Assurément, ce Mycelium restera comme un des plus surprenants sommets de la 20e Biennale de Lyon, qui croule sous la diversité de ses formes, entre danses urbaines, tentatives oniriques ou ultra réalistes, inconnus venus de loin et pointures aussi sanctifiées que celles de Sidi Larbi Cherkaoui avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève, l’inclassable Boris Charmatz, lequel a pris l’an dernier la relève de Pina Bausch à Wuppertal, ou l’inusable Teresa de Keersmaeker. On y a même vu des jongleries avec le Collectif Petit Travers, que le Quatuor Debussy a soutenu dans ses évolutions. Mais un sommet souterrain, puisqu’il s’agit de l’univers des champignons ! En fait l’entreprise n’a rien de cocasse et ce ne sont pas des shadoks qui tirent les fils : Christos Papadopoulos, chorégraphe quarantenaire, vit sur une planète qui ressemble à la nôtre, mais sans le réseau de lecture rationnelle qui imbibe notre perception. Totalement pénétré des mystères de l’univers, à l’écoute des voix qui peuvent en être perçues, il s’y enfouit, et tente de le projeter sur les plateaux en un langage qui n’appartient qu’à lui.
Une question se pose toutefois : faut-il lire les programmes avant de regarder les spectacles ? Certes le titre Mycelium est parlant, mais si l’on est peu prévenu, on peut tout d’abord croire à des algues se balançant mollement sous l’eau, à des feuilles bruissant dans le vent, avant de comprendre qu’il s’agit d’un murmure souterrain.
Qu’on imagine : un groupe de silhouettes vêtues de noir sur fond noir se constitue et agite finement bras et jambes, comme un seul être. Le son s’élève : une sorte de vibration, signée de l’électronicien avant-gardiste Coti K, va croissant (un peu trop) et soulève cette entité dont les mouvements vont se développer, toujours parallèlement comme un bouquet de filaments, tandis que la toile de fond s’anime de fugaces trainées blanchâtres, infusées par Eliza Alexandropoulou. En fait, les gestes sont minuscules, infimes, les têtes prennent le relais des jambes et des bras, sans que jamais les danseurs ne se regardent, mais de leur superposition va naître un bouquet d’émotions qui ont tout du pseudopode. Une gestique minimaliste, filamenteuse qui évolue de l’intérieur, et est censée nous faire accéder à cet immense réseau souterrain dont le champignon n’est que la pointe émergée. Réglée avec une féroce précision, laquelle demande certainement aux danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon une énorme concentration, cette performance, car c’en est vraiment une, ne frise jamais la transe, qui ferait perdre tout contrôle. Elle suggère au contraire le caractère inéluctable de la poussée végétale, et peut-être de la vie tout court.
C’est dire combien est forte l’ambition du chorégraphe, élève du grand chorégraphe Dimitris Papaïoannou, dont on verra la pièce Ink du 23 au 26 septembre à la Maison de la Danse (1), combien est profonde son inspiration et honnête sa démarche, qui n’a rien de tapageur. Une petite heure de piétinements infimes, savamment orchestrés, de légères ondulations des épaules, de frémissements, de fines torsions de la tête, tandis que la partition électronique, de sourde se fait vrombissante, et nous mène de l’état végétatif à la germination, voilà un troublant et dépaysant voyage sensitif, qui peut fasciner. Ou paraître intolérable. On doit saluer le succès que la pièce a rencontré notamment auprès d’un public exceptionnellement jeune, comme on en voit peu dans les salles d’opéra. La Biennale est une grande boutique, assurément.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.labiennaledelyon.com/fr/biennale/biennale-de-la-danse-2023/spectacle/dimitris-papaioannou-ink
Christos Papadopoulos : Mycelium - Opéra de Lyon, le 13 septembre 2023. Biennale de la Danse de Lyon, jusqu’au 30 septembre 2023. www.labiennaledelyon.com
Photo © Agathe Poupeney
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