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Musique et Jeune Public (5) – « Mon premier Festival d’opéra » à l’Opéra-Comique : le pari de la création

 L’Opéra-Comique a fait peau neuve et cette jeunesse retrouvée se traduit entre autres par la création d’un festival dont le nom révèle le public visé : « Mon premier Festival d’opéra » (à partir de 8 ans). Du 23 février au 11 mars, les enfants, mais aussi leurs parents, découvriront trois spectacles, deux créations commandées pour l’occasion La Princesse légère et Le Mystère de l’écureuil bleu, ainsi qu’une comédie musicale, My Fair Lady, qui impliquera la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Ils pourront également assister à des avant-concerts, des ateliers-découverte, des rencontres avec les artistes et à une « kids party » !
 
Du web [opéra] à la salle Favart
 
Pour faire goûter à ce public la magie du monde lyrique, l’Opéra-Comique a donc fait le pari de la création, de l’invention avec, pour ouvrir les festivités, une œuvre qui a vu le jour sous forme de «  web opéra ». Le Mystère de l’écureuil bleu est en effet une commande que l’Opéra-Comique a passée en 2016 (au moment de la fermeture de la salle pour travaux) à deux complices de longue date, le compositeur Marc-Olivier Dupin et le librettiste Ivan Grinberg, auteurs d’un Robert le Cochon qui avait rempli la salle Favart en 2014.

Le Mystère de l'écureuil bleu ©DR

A la demande de son directeur, Olivier Mantei, les deux artistes avaient pour consigne d’imaginer un « polar » qui  revisite l’histoire de l’opéra-comique, ses grands succès, ses livrets et son théâtre. De ces contraintes est née une aventure pleine d’humour, une enquête à l’Opéra-Comique autour de l’assassinat d’un écureuil bleu, animal fétiche de la jeune chanteuse Margot, qui remplace au pied levé, à la demande du directeur Saint Germain, la capricieuse soliste Adèle. Truffée de références et de clins d’œil  – Carmen, Pelléas, Manon et quelques autres –, alternant le parlé et le chanté dans la tradition de l’opéra-comique, l’œuvre est servie par une distribution de haut vol (1), qui aime jouer la comédie autant que chanter ou danser. La partition a donc d’abord été créée pour le web où elle a été diffusée en direct le 21 février 2016 – enregistrée lors d’une représentation unique et sans public au Théâtre impérial de Compiègne – ; elle est à présent reprise dans une version adaptée aux dimensions de la salle Favart. Ce « thriller lyrique » permet au jeune public d’entrer dans les coulisses de l’opéra et d’y découvrir, outre les classiques intrigues amoureuses, le savoir-faire passionné de tous ceux qui concourent à l’élaboration d’un spectacle : costumiers, techniciens, mécène aussi, et, bien sûr, chanteurs en proie aux affres de la concurrence. Aussi divertissant que pédagogique, le Mystère de l’écureuil bleu (en sept tableaux et 3 décors) devrait réjouir petits et grands, néophytes curieux de découvertes tout autant que mélomanes amoureux du genre.
 
Conte à l’ancienne dans un écrin moderne
 
Toujours pour cause de travaux, la création de l’opéra de la compositrice colombienne Violeta Cruz La Princesse légère, une commande de l’Opéra-Comique et de l’IRCAM, a eu lieu dans le cadre de l’Opéra de Lille (coproducteur du spectacle) en décembre dernier devant une salle pleine et très réceptive : joli cadeau de Noël que cet ouvrage que les petits parisiens vont bientôt découvrir ; un conte à l’ancienne dans un écrin contemporain. Comme dans les récits traditionnels, il y est en effet question (Gilles Rico signe le livret) d’une Princesse frappée par un sort jeté par une fée carabosse, sœur du roi et d’un Prince qui acceptera, par amour, de donner sa vie pour la sauver. Le sort jeté par la méchante fée, la perte de la gravité, permet d’aborder un très beau sujet, celui de la légèreté, thème varié tout au long de l’œuvre, à la fois perte du poids et envol du corps, mais également celui plus psychologique de la légèreté d’esprit qui fait rire la Princesse de tout. En est-elle plus heureuse ?

La Princesse légère © DR
 
Autour des deux héros (incarné par Jeanne Crousaud et Jean-Jacques l’Anthoën) se meuvent d’autres figures, les parents, roi (Nicholas Merryweather) et reine (Majdouline Zerari), dépassés par la malédiction mais régulièrement réunis dans la partition en un duo très harmonieux, un ballet de silhouettes qui transforment et déplacent sans cesse les éléments d’un décor aussi efficace que simple, des musiciens de l’ensemble Court-Circuit (dont certains montent sur scène), et enfin, la nourrice, la sorcière et deux docteurs, mais aussi un récitant qui donne le « la » dès le début du spectacle au cours d’un prologue vraiment réjouissant.
La mise en scène foisonne d’idées, un peu trop parfois au point de devenir répétitive (mais les enfants n’adorent-ils pas les répétitions, comme les rires dans la salle de l’Opéra de Lille le laissaient deviner), des idées nées, selon le vœu des Jos Houben et Emily Wilson, les metteurs en scène, et de Violeta Cruz, d’une « écriture de plateau » au cours de laquelle chacun des participants a apporté ses propositions. En résulte un spectacle encore un peu long par moments à Lille, mais que les interprètes souhaitaient resserrer pour Paris, à la musique truffée d’hybridations ; elle se réfère aussi bien au jazz qu’aux musiques bruitistes ou au théâtre musical (on pense à Aperghis), en passant par Stravinski et la chanson populaire. Les percussions sont très présentes, les musiciens de l’ensemble Court-Circuit (emmenés par Jean Deroyer) accompagnent de leur énergie et de leurs couleurs une partition mêlant parlé et chanté.
 
Une maîtrise pas comme les autres

Plus classique, le spectacle que propose la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique consiste en une version mixte (français pour les dialogues, anglais pour le chant) de My Fair Lady, célèbre comédie musicale de Frederick Loewe, sur un livret d’Alan Jay Lerner inspiré de Pygmalion de George Bernard Shaw.
Sarah Koné, la directrice de la Maîtrise, est une visionnaire : forte d’une éducation peu conventionnelle, méthode Dalcroze, Maîtrise de l’Opéra de Lyon et études à Lausanne, passée ensuite par le CNSMD de Paris en classe de direction d’orchestre, elle fonde, il y a dix ans une compagnie selon ses rêves, « La compagnie sans père », où les enfants apprennent non seulement les arts de la scène, danse, chant, théâtre mais aussi l’entraide, la responsabilité et l’exigence. Elle obtient un agrément de l’Education Nationale, travaille avec le collège Couperin, dans le 4ème arrondissement de Paris où sa compagnie est implantée et trouve un partenariat avec le lycée Georges Brassens, dans le 19ème, et surtout, avec le lycée professionnel Abbé Grégoire, le seul à offrir un mi-temps pédagogique.
 

Sarah Koné © Opéra-Comique

Sarah Koné souhaite donner leur chance à des jeunes qui n’auraient peut-être jamais pu accéder à cette formation si complète et d’ailleurs, aucun des jeunes auditionnés n’est issu d’un conservatoire ou d’une maîtrise. Pour recruter ses aspirants, elle fait tous les ans ce qu’elle appelle sa «  tournée RATP », pour aller présenter son projet dans toutes les écoles primaires des bouts de ligne du réseau métropolitain ! Le collectif des parents permet parfois de compenser les différences économiques et le travail collectif régulier, autour du spectacle vivant, est certainement le secret d’atmosphère joyeuse et bourdonnante de cette maîtrise pas comme les autres.
 
Il y a deux ans, Olivier Mantei, séduit par le projet artistique et pédagogique de Sarah Koné, lui propose de rejoindre avec sa troupe l’Opéra-Comique – et La compagnie sans père de se muer en Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Après Annie, en 2017, c’est donc My Fair Lady qui réunira l’ensemble des jeunes maîtrisiens les 28 février et 1er mars prochains : une distribution impressionnante, une centaine de jeunes qui dansent, chantent, font des claquettes, jouent la comédie avec un engagement peu commun !
De quoi susciter des vocations musicales parmi l’auditoire ...
 
Dominique Boutel

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 (1) Ronan Debois, Anna Reinhold, Armelle Kourdoïan occupent les rôles principaux de la production qui arrive à Favart. L’orchestre des Frivolités Parisiennes est dirigé par Marc-Olivier Dupin ; Ivan Grinberg signe la mise en scène
 
Mon premier Festival d’opéra
Du 23 février au 11 mars 2018
Paris – Opéra-Comique
www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2018
 
Le Mystère de l’écureuil bleu (les 23, 24 et 25 février)
My Fair Lady (les 28 février et 1er mars)
La Princesse légère (les 9, 10 et 11 mars)
Chaque représentation est précédée d’un « avant-spectacle » ludique, 45 minutes en amont, qui permet au public de se préparer à la représentation.

Photo (La Pincesse légère) © DR

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