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Mefistofele d’Arrigo Boito au Théâtre du Capitole – Un diable en majesté – Compte-rendu

 

 Fin de saison, lyrique en diable, au Capitole de Toulouse avec l’assez rare Mefistofele d’Arrigo Boito (1842-1918), un compositeur davantage connu comme le librettiste du dernier Verdi. Cet opéra de trois heures est une déconcertante partition dont on sort sonné et exalté. À quoi a-t-on assisté ? à une hiératique mise en musique du Faust de Goethe ? ou à la spectaculaire confession d’un créateur se débattant avec un monstrueux projet ? Car c’est moins de Faust que de son démon dont il est question, de cette force chtonienne qui détruit le créateur autant qu’elle le construit. Durant l’écoute, on a souvent songé à l’intéressante photo de Boito figurant dans le livret de salle. Elle montre un homme émacié, les yeux hantés, saisi in vivo en 1889 alors qu’il est en proie aux affres de son second opéra, laissé inachevé, Nerone. La genèse de Mefistofele lui fut tout aussi éreintante, passant d’une œuvre de cinq heures, conspuée à la Scala (en 1868), à une version de trois heures enfin acclamée le 4 octobre 1875 au Teatro Comunale de Bologne.
 

© Mirco Magliocca 

La dernière rencontre du public avec ce colosse eut lieu à Lyon en 2018 dans la mise en scène d’Alex Ollé, puis aux Chorégies d’Orange dans celle de Jean-Louis Grinda. Un brin ampoulée, elle se trouve ici métamorphosée par l’utilisation prédominante des vidéos d’Arnaud Pottier. Le résultat, classique et plutôt séduisant, reçoit un triomphe compréhensible. Nul besoin de croquer les cerveaux, au paradis il y a des anges, une forêt reste une forêt et une cathédrale n’est pas un aéroport. Les images, projetées sur une conque façon Géode, apportent à la partition une fluidité qui sied à la mosaïque musicale convoquant ensemble le grand opéra français, l’oratorio, les souvenirs du premier Verdi et une opulence préraphaélite.
 

© Mirco Magliocca 

L’orchestre du Capitole, caparaçonné d’une abondance de percussions et de cuivres, est porté à bout de baguette par l’enthousiaste Francesco Angelico. Les forces conjointes du chœur et de la maîtrise du Capitole apparaissent entre les nuages et entonnent un Prologue dont la puissance évoque la Huitième de Mahler, également inspirée par le Faust de Goethe. Dirigés par Gabriel Bourgoin, les choristes sont très sollicités durant le carnaval de Pâques, véritable capharnaüm de costumes dont Buki Shiff a puisé le grotesque chez James Ensor.
 

 
Depuis la prise du Capitole par son actuel directeur Christophe Gristi, on accourt à Toulouse pour applaudir le gratin du champ français et y découvrir les nouveaux espoirs des scènes lyriques. C’est ainsi le cas du ténor vénézuélien Andres Sulbaran, formidable en Wagner, d’une élégance presque top mozartienne pour le rôle. Chiara Issoton, acclamée en Margherita, livre un puissant « L’altra notte in fondo al mare », même si on aurait aimé davantage de nuances et un trille plus raffiné. Elle offre cependant des piani superbes dans le duo « Lontano lontano », mariage parfait avec Jean-François Borras. Le solaire ténor endosse sans fléchir la redoutable tessiture de Faust qui tient autant de Manrico que de Rodolfo. Marie-Ange Todorovitch et Béatrice Uria-Monzon sont les vétéranes de la production, la première dans le rôle un peu effacé de Marta, la seconde une Helena sûre de ses charmes durant un acte grec, visuellement le moins abouti.

 

© Mirco Magliocca 

Mais c’est pour Nicolas Courjal que l’on guettait ce Mefistofele tant on suit avec ferveur son parcours de basse, magistral dans l’opéra romantique français qu’il s’agisse d’Herodiade, du Roi d’Ys ou de Robert le diable. Il rend passionnant son personnage, intéressante évolution du mythe faustien où Boito déplace le curseur tragique de Faust philosophe à une interrogation du mal dont le Doktor Faustus de Busoni (1925) sera le point culminant. Saison après saison, le timbre de Nicolas Courjal gagne en ampleur. Il est désormais armé de splendides couleurs cuivrés et d’un médium impeccablement projeté. Autant de qualités qui devraient lui valoir de futurs Hollandais, Wotan et Don Giovanni …
 
Vincent Borel
 

 

Boito : Mefistofele - Toulouse, Opéra National du Capitole, 27 juin ; prochaines représentations les 30 et 2 juillet 2023
opera.toulouse.fr/agenda/operas/mefistofele-7793080/
 
Photo © Mirco Magliocca

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