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Macbeth selon Jaume Plensa au Liceu de Barcelone –Verdi sans théâtre – Compte-rendu
Célèbre dans le monde entier pour ses sculptures monumentales, ses délicats profils en grillage, ses visages émaciés en bronze et ses silhouettes composées de fines dentelles de lettres majuscules en acier, Jaume Plensa est l’un des artistes catalans les plus féconds. De Nice, à Bordeaux, d’Antibes à Madrid en passant par Chicago ou Montréal, ses œuvres occupent l’espace public avec douceur et mélancolie. Graveur et plasticien, Plensa a également travaillé avec les membres du collectif La Fura dels Baus créant à l’occasion décors et costumes de plusieurs productions diversement appréciées par la critique (La Damnation de Faust à Salzbourg et Die Zauberflöte à Madrid et Paris). Ne lui restait plus qu’un pas à franchir pour devenir metteur en scène et c’est sans surprise à Barcelona, au Gran Teatro del Liceu, que son baptême du feu vient d’avoir lieu, avec le Macbeth de Verdi.
© David Ruano
A-t-il bien fait d’accepter ce défi ? Pas sûr ! Jaume Plensa a cru que sa science de l’espace et des volumes suffirait à donner vie et corps au fameux drame shakespearien et que le plasticien pourrait se convertir en seigneur du plateau. Il n'est certes pas le premier à avoir commis cette erreur, qui devient plus évidente à mesure qu’avance la représentation. Ces amoncellements de phrases et de mots obscurs, ces énigmatiques visages allongés, cette immense sculpture en acier composée de lettres majuscules qui forment un être accroupi, sont autant de pièces recyclées sans cohérence et que l’on sent plaquées par Plensa sur une intrigue qui demande une tout autre approche. Les deux premiers actes sont ainsi visuellement réussis grâce à quelques images évocatrices (notamment pendant le meurtre du Roi Duncan, puis lors du Banquet où chaque calice est éclairé de l’intérieur) qui suivent le découpage musical, tandis que les deux autres ne font que répéter les mêmes effets sans lien logique avec la dramaturgie.
Perdu, le metteur en scène s’avoue vaincu et se contente de faire défiler quelques-unes de ses créations – plutôt joliment éclairées – jusqu’au rideau final, sans se préoccuper un instant des situations et encore moins des personnages qui évoluent sans qu’une direction d’acteur ne leur ait été proposée. Et que dire du ballet chorégraphié en dépit du bon sens par Antonio Ruz, qui mélange dans une joyeuse confusion streat danse, hip hop et contorsions en tous genres, ou des costumes (signés Plensa) coupés de la même façon (et pourquoi ?), sorcières, soldats hommes et femmes, à l’exception des Proscrits écossais, ne formant plus qu’un magma souvent informe.
© David Ruano
Par chance Jaume Plensa dispose d’interprètes suffisamment aguerris pour palier cette absence de théâtre et en premier lieu d’un chef exceptionnel, Josep Pons. Entre ses mains cette partition novatrice, ensorcelante et aux accents fuligineux livre ses secrets les mieux gardés. Architecte impitoyable, le maestro tient le tempo, unifie, enveloppe, caresse ou aiguise nos oreilles avec un constant magnétisme et une puissance narrative magnifique, au point de transformer en morceau de choix le ballet du troisième acte, si souvent anachronique ou tout bonnement bâclé.
Après avoir enflammé le public barcelonais avec Norma, Aida, Maddalena di Coigny, Luisa Miller ou les trois Reines donizettiennes, Sondra Radvanovsky ajoute un nouveau trophée à son prestigieux tableau de chasse. Sa Lady Macbeth n’a peur de rien, escaladant chaque moment escarpé de cette écriture unique dans l’histoire du chant, avec la rage et la détermination d’une guerrière. La voix de la soprano qui a gagné en ampleur, est suffisamment large pour donner du relief à l’air d’entrée et tenir tête à l’une des plus terribles cabalette qui soit « Or tutti sorgete », affronter les extrémités de « La luce langue », sans jamais contrefaire ou forcer ses moyens et surmonter avec l’agilité nécessaire les périlleuses vocalises du Brindisi, réussissant une quadrature du cercle que l’on croyait impensable, Callas mise à part bien entendu ! Femme de tête et de pouvoir, sa Lady est sanguinaire sans oublier pour autant d’être séduisante et amoureuse. Le choc produit par son somnambulisme qui met alors à nu son âme a jamais marquée par son crime, n’en étant que plus fascinant.
Josep Pons © joseppons.net
Le couple qu’elle forme avec Macbeth est superbement assorti, la connivence de leurs timbres et de leurs intuitions apportant épaisseur et crédibilité lorsque le théâtre fait défaut. Plus engagé qu’à Milan face à une grossière Netrebko, Luca Salsi sans posséder le profil altier et psychologique requis, se donne sans compter dans une première partie convaincante, avant de terminer la soirée à genoux après un « Pieta, rispetto, amore » pourtant chanté avec les tripes ; la retransmission en direct (1) l’aura sans doute poussé dans ses derniers retranchements. Fidèle à lui-même Erwin Schrott joue de son charisme et de son instrument sonore (Banco), tandis que Franceso Pio fait pâle figure en Macduff, aux côtés de Gemma Coma-Alabert en suivante, de Fabian Lara (Malcolm) et des chœurs maison (préparés par Pablo Assante), admirables.
François Lesueur
(1) le spectacle a fait l’objet d’une retransmission en streaming le 25 février
Verdi : Macbeth – Barcelone, Gran Teatro del Liceu, 25 février ;prochaines représentations les 28 février, 1er et 3 mars 2023 // www.liceubarcelona.cat/es/temporada-2022-23/opera/macbeth
Photo © David Ruano
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