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L’Orfeo de Monteverdi par Leonardo García Alarcón(2 CD Alpha) / Le Disque de la Semaine – Nouvelle référence – Compte-rendu

 

Il y a quelques années, Leonardo García Alarcón (photo) plaçait la barre très haut : « L’Orfeo de Gabriel Garrido, avec Victor Torres, Maria Cristina Kiehr, est absolument unique : c’est l’un des moments les plus beaux de l’histoire du disque! » (1). Il pouvait d’autant mieux le dire qu’au moment de l’enregistrement, en 1996 en Sicile, le jeune chef argentin n’avait pas encore rejoint l’équipe de son compatriote, aîné et mentor dans l’aventure baroque. Il pouvait encore le dire parce qu’il ne nous avait pas donné sa version de l’œuvre fondatrice de Claudio Monteverdi, favola in musica représentée à Mantoue en 1607. Une version en équilibre parfait entre la Renaissance et le Baroque, le théâtre et la musique, le paradis et l’enfer.
 
Toccata (ext.)

Dès la Toccata initiale, c’est en quelque sorte l’extension du domaine de la lutte – bienveillante – entre l’esprit et la chair. Cela vient d’aussi profond et cela va plus haut, cela sonne plus vif, plus large, mieux articulé, avec autant de matière que de lumière. En une heure trois-quarts, l’interprétation ne cessera d’explorer, depuis une crête qu’on imaginait inaccessible, le ravin des ombres et les vents éclatants. Si la Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur s’inscrivent dans la lignée luxuriante des ensembles solaires, cela ne leur interdit pas de connaître les ténèbres.
 
Leonardo García Alarcón nous avait un jour évoqué le lien direct entre le baroque et sa culture latino-américaine où fusionnent les traditions musicales populaires et l’héritage européen apporté par les jésuites : « À l’époque de Monteverdi, au XVIIsiècle, les compositeurs élaborent des codes, des paramètres musicaux qu’ils ont réussi à nous transmettre. Je suis convaincu que l’esprit du baroque continue à exister dans toutes les musiques populaires du monde. »
 

 Acte I – Coro di ninfe e pastori – Lasciate i monti 
 
Le plumage des flûtes, la charpente des orgues et surtout la richesse d’effectif du continuo, avec son faisceau de cordes pincées – théorbe, guitare, archiluth, harpe – emmenées vers une certaine folie par Quito Gato, contribuent à cette survivance. Les scènes de réjouissance constituant l’essentiel des deux premiers actes font alterner des chœurs polyphoniques descendus de la Renaissance pour rencontrer ici des airs accompagnés qui sont la naissance du Baroque. Chaque formule peut, comme sur un claquement de doigts, plonger soudain dans l’affliction. Est-ce parce que l’on connaît la révérence d’Alarcón pour Bach que les chœurs sur la Terre et aux Enfers semblent préfigurer les chœurs et chorals des Passions ? Est-ce une illusion si le duo d’Orfeo avec Apollo au dernier acte jaillit dans une trouée de lumière comme le Duo Seraphim des Vêpres de la Vierge de 1610 ?
 
Valerio Contaldo (Orfeo) © LeonardoDoPietroMaria
 
Acte V – Apollo e Orfeo – Saliam cantando al cielo
 
« En 1626, Monteverdi crée son Combattimento et en 1638 il écrit qu’il a inventé la colère en musique, rappelle le chef. Nous sommes dans le laboratoire musical des émotions humaines, dans l’invention des affetti. » Rarement la formule favola in musica (« fable en musique ») – autant dire le fondement du travail de Monteverdi entre la note et le mot – n’a été servie de manière aussi essentielle.
 
Acte IV – Euridice – Ahi vista troppo dolce
 
Symboliquement, la soprano Mariana Flores est à la fois La Musica et Euridice ; elle parvient à teindre sa voix de nuances subtiles dans l’un et l’autre rôle, du hiératisme à la douleur. Alarcón se souvenait, ému, de l’interprétation de Victor Torres chez Garrido. Valerio Contaldo pourrait bien l’avoir surpassé : la puissance et la noblesse du baryton en faisaient l’égal d’Apollon son père ; le ténor est un Orfeo qui chante à hauteur d’homme, avec ses passions et ses emportements.
Acte III – Orfeo – (Ei dorme… /fin) – Rendentemi il mio ben, Tartarei numi ! 
 
Avec lui, toute la distribution, instrumentistes compris, est comme portée par la battue énergique, sculptée, dansante du chef qui leur tend un miroir passionné pour les conduire au-delà d’eux-mêmes. Il s’en amuse : « Je sens quand on est en train de mourir, j’ai une alarme contre la paresse musicale! ». La vidéo saisie sur le vif pendant les séances d’enregistrement en témoigne : L’Orfeo selon Alarcón est un disque chanté « avec les mains » – on ne se baptise pas Cappella Mediterranea pour rien.
 
Disque de la semaine sans conteste – et même plus que cela. Au troisième acte, noyau noir de l’œuvre, Orfeo chante : « Là où se trouve une telle beauté, là est le paradis ». Il est encore un peu tôt mais on parierait bien sur ce nouvel Orfeo pour devenir le disque d’une génération.
 
Didier Lamare
Claudio Monteverdi, L’Orfeo; 2 CD Alpha-Classics / Alpha 720
 
(1) France Musique, Les grands entretiens par Stéphane Grant (été 2016)
 
Lien vidéo de l’enregistrement :
www.youtube.com/watch?v=Jblu_PMeU_U
 
Label Alpha-Classics :
outhere-music.com/fr/albums/Monteverdi-L-Orfeo-ALPHA720
 
Site Cappella Mediterranea :
cappellamediterranea.com/fr

Photo ©  ©LeonardoDoPietroMaria

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