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L’Orchestre de Paris rend hommage à Philippe Aïche – Torrent d’émotions – Compte-rendu
La France aime les hommages, les célébrations, les marches blanches. Faute d’aider les vivants, elle célèbre les morts. Mais la musique, elle, leur assure une vie presque éternelle, et cette soirée du souvenir offerte en mémoire de Philippe Aïche, récemment conçue en modifiant le programme initial - donné le lendemain avec la 4e Symphonie de Chostakovitch, prévue -, fut une explosion de vie, et un bouquet de couleurs musicales intenses, dont la richesse était décuplée par l’émotion : le 20 octobre 2022 s’éteignait, à 59 ans, le formidable premier violon de l’Orchestre de Paris, et ses compagnons de pupitres, autant que le public regrettent fortement cette personnalité charismatique autant que peu médiatique – sans doute avait-il choisi de s’éloigner de la carrière de soliste pour mieux travailler sur le fond, avec l’Orchestre de Paris, qu’il avait intégré tout jeune, avec des musiciens de chambre, tout en dirigeant l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire, que sa passion et son sens didactique menaient sur la bonne voie. Quelques représentants de la formation étaient d’ailleurs intégrés à l’Orchestre dans l’hommage.
Philippe Aïche © Zihnio Glukamil
On a donc réentendu la voix de son violon, un son miraculeusement pur, transparent, digne de son dieu Christian Ferras, dans un extrait du Concerto op.35 de Korngold qu’il adorait jouer, tandis qu’une vidéo le remontrait : personnage à l’air jovial et à l’âme fine. L’orchestre, très ému, a donné le meilleur de lui-même dans cette évocation de l’ami, du meneur, en alternant des extraits vigoureux et lyriques de Bernstein( Danses symphoniques de West Side Story, joyeux avec la Valse de la Suite tirée du Chevalier à la Rose de Strauss, douloureux avec la Valse triste de Sibelius, pour clore sur Wagner et la Mort d’Isolde, afin de finir leur célébration dans les volutes du rêve. Dessinant un portrait incontestablement romantique du disparu, les musiciens étaient dirigés avec une vigueur bien venue par le solide Jukka-Pekka Saraste, lequel a paru simplement un peu expéditif dans cette montée wagnérienne, qu’on eût aimée après ses extases grandioses, un peu plus éthérée, voire étirée. Et menés par l’excellent premier violon actuel, Eiiji Chijiwa.
Alexandre Kantorow © Sasha Gusov
En première partie, la jeune star du piano, Alexandre Kantorow, avait affirmé le talent que l’on sait désormais en faisant courir ses doigts féeriques dans les fluides lancées du 2e Concerto de Tchaïkovski : concerto mal aimé, délaissé au profit de l’éternel Concerto n°1, et qui comporte pourtant des passages aussi originaux qu’intenses, notamment pour l’Andante, presque chambriste, avec son inattendu duo violon-violoncelle, et dans lequel le piano se glisse comme subrepticement. Kantorow, qui le joue depuis des années, a le sens de la mesure, même si ses qualités lui permettent la démesure, et dans cet exercice plein de surprises, sa délicate poésie autant que sa fougue n’ont montré aucune afféterie, aucun maniérisme, ni aucune violence, aucune façon de s’imposer avec quelque égocentrisme. Seule la musique parlait.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Philharmonie, 11 janvier 2023
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