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L’Ombre de Venceslao de Matalon en création à Rennes - Du sens au désordre - Compte-rendu
Cela fait bien longtemps que Martin Matalon tourne autour de l’écriture dramatique. C’est d’ailleurs par des musiques destinées à accompagner des chefs-d’œuvre du cinéma muet (aussi différents que Metropolis de Fritz Lang ou Un chien andalou puis L’Âge d’or de Luis Buñuel) que le compositeur, né en 1958 à Buenos Aires, s’était fait connaître à Paris. Auteur d’un spectacle original (La Rosa…) composé à partir de textes de Jorge Luis Borges – et même d’un premier opéra de chambre, Le Miracle secret, créé en 1989, toujours inspiré par l’auteur de L’Aleph – on pouvait s’attendre à ce qu’il revienne de nouveau à son auteur de prédilection pour son premier vrai grand opéra. Finalement, Martin Matalon a plutôt choisi Copi, comme avant lui Oscar Strasnoy, autre Argentin de Paris, pour Cachafaz (2010), ou Régis Campo (2008) pour Les Quatre Jumelles.
Ce choix, on l’imagine, est une décision partagée avec Jorge Lavelli, qui signe la mise en scène mais aussi le livret de L’Ombre de Venceslao (en fait, une version légèrement raccourcie de la pièce dont il avait créé la version française en 1999 au Théâtre de la Tempête). Musicalement parlant, le choix de Copi et de son écriture rythmée – tant dans la narration faite de scènes courtes (ce sont trente-quatre « miniatures » qui forment la trame de l’opéra de Martin Matalon) que dans les phrases elles-mêmes, d’un langage vif et cru – dit beaucoup de l’écriture désirée par le compositeur : colorée, ornementée, avec quelque chose de baroque.
Photo © Laurent Guizard
Pour autant, le rythme propre d’une œuvre littéraire – et même d’une œuvre dramatique – ne garantit pas d’en déduire la musique. Il reste pour cela au compositeur à trouver sa prosodie. Martin Matalon n’élude pas la question mais tourne autour. Toutes les formes de la vocalité y passent – du parlé aux vocalises – et le compositeur refuse d’en faire une grande affaire. Voyez plutôt le début de l’œuvre, en un lieu peu défini, quelque part sur la route où se sont embourbés Venceslao (Thibaut Desplantes), son fils Rogelio (le ténor Ziad Nehme) et son cheval Gueule de Rat. Alors que le premier geste est orchestral (la musique naît de l’orage), c’est une scène parlée. Puis, au beau milieu du dialogue, les deux hommes se mettent à chanter. Paradoxalement, cette décision presque arbitraire du compositeur rend parfaitement naturelle l’arrivée du chant. Ailleurs, Martin Matalon n’hésitera pas à jouer de l’exubérance lyrique, notamment dans les interventions de la colorature Estelle Poscio, qui chante le rôle de China, la fille que Venceslao a eue d’un premier mariage et l’amante incestueuse de Rogelio.
Le matériau vocal dans L’Ombre de Venceslao est particulièrement disparate. Il reflète l’atmosphère des scènes et enchaîne passacaille et tango, mais sans tomber dans l’écueil de caractériser chaque scène par un style musical. Surtout, c’est l’écriture orchestrale qui donne sa tenue à tout l’édifice. Magnifiquement servie par le travail, exemplaire dans sa conviction et dans sa fougue, d’Ernest Martinez Izquierdo à la tête de l’Orchestre symphonique de Bretagne, elle traverse le chant et traverse les scènes, les cousant habilement les unes aux autres. Cette unité, dans le désordre ambiant, Martin Matalon l’appuie sur une identité de timbres. Les quatre bandonéonistes (Anthony Millet, Max Bonnay, Guillaume Hodeau, Victor Villena) que le compositeur a glissés dans son orchestre – et qui par deux fois se retrouvent sur scène – contribuent à donner à l’œuvre d’étranges contours harmoniques. C’est aussi l’orchestre qui relaie, par sa forte accentuation, la force expressive des scènes parlées.
Photo © Laurent Guizard
Rythmée, contrastée, la partition de Martin Matalon parvient à garder fluide et à rendre, autant que possible, intelligible l’équipée allégorique de Venceslao qui, sous un déluge presque ininterrompu, prend des allures d’arche de Noé. Outre le cheval Gueule de Rat (le comédien Germain Nayl, rôle muet) et un singe (le mime Ismaël Ruggiero, muet également) qui les rejoint en cours de route, l’un des personnages essentiels de l’œuvre est un perroquet, quant à lui particulièrement bavard. Sa voix (celle, préenregistrée, de l’acteur David Maisse) apporte un nouvel élément, ironique, grinçant et a priori peu musical, à ce récit hétéroclite (que les mouvements de la marionnette poussent un peu plus encore vers le grotesque). C’est aussi la partie la plus saillante du travail de sonorisation et d’électronique mené pour cette œuvre par Max Bruckert au sein des studios du Grame, le Centre de création musicale de Lyon.
Jorge Lavelli partage avec le compositeur une exigence de lisibilité dans sa mise en scène. Le plateau est souvent dépouillé. Qu’il représente la « pampa », l’appartement de la Mechita ou la métropole bruyante et agitée de Buenos Aires, il est toujours ce lieu où se retrouve et se perd la tribu excentrique. Les scènes urbaines, où l’espace s’ouvre et se perd à l’infini (projections photographiques en fond de scène, bruits concrets de la ville venant s’ajouter à la trame musicale), sont particulièrement réussies et révèlent de façon flagrante l’art que possède Jorge Lavelli de faire contraste de presque rien. Mais, tout au long de l’ouvrage, c’est surtout la précision du jeu des acteurs qui impressionne – il faut voir Estelle Poscio danser le tango, emportée par le chant de Tita Merello (là encore, le disque, ce morceau de passé, vient se joindre à la musique de Martin Matalon). Dès cette première représentation, les jeunes chanteurs réunis par le Centre français de promotion lyrique portent déjà leur rôle avec une énergie et une implication exceptionnelles ; outre ceux déjà cités, mentionnons la contralto Sarah Laulan (Mechita) et surtout le baryton Mathieu Gardon, burlesque et virtuose à souhait dans le rôle très accidenté du vieux Largui, soupirant de Mechita souvent éconduit par Venceslao. Il règne dans cette belle distribution un esprit de troupe qui devrait s’épanouir encore au fil des nombreuses représentations prévues dès mars prochain.
Jean-Guillaume Lebrun
Martin Matalon : L’Ombre de Venceslao – Rennes, Opéra, le 12 octobre 2016.
Prochaines représentations à Avignon (10 et 12 mars 2017), Clermont-Ferrand (22 mars 2017), Toulouse (2-9 avril 2017), Marseille (7 et 9 novembre 2017), Montpellier (26-30 janvier 2018), Reims (13 février 2018), Toulon (24 mars 2018), puis Bordeaux, Santiago (Chili) & Buenos Aires (Argentine).
Site du Centre Français de Promotion Lyrique : www.cfpl.org
Photo © Laurent Guizard
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