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Les Vêpres siciliennes au Teatro Costanzi de Rome – Pour qui sonne le glas ? – Compte-rendu

Trois jours après une ouverture de saison sans risque à Milan, l’Opéra de Rome affichait courageusement l’original français des Vêpres siciliennes de Verdi. On sait l’œuvre un peu confuse en raison du livret disparate de Scribe et Duveyrier qui imposèrent au compositeur une histoire d’amour à laquelle il ne tenait pas. Le drame déployé en cinq actes, pour répondre aux critères du Grand Opéra alors en vogue à Paris où l’œuvre fut créée en juin 1855, traîne parfois en longueur et souffre surtout d’un ballet aussi inutile que musicalement insupportable. Malgré ces défauts, l’ouvrage lorsqu’il est dirigé par un chef aussi consciencieux, subtil et exigeant que Daniele Gatti, réserve d’inoubliables moments où la veine et l’éloquence verdiennes se répandent superbement.
 

Roberto Frontali (Montfort) & John Osborn (Henri) © Yasuko Kageyama - Opera di Roma

Inspiré, Gatti, comme Muti à la Scala de Milan en 1989, dirige la partition avec l’énergie et la poigne que nous lui connaissons, distillant une leçon de style et une lecture très personnelle sans laquelle il ne pourrait être question d’interprétation. Au chœur amorphe et balbutiant un mauvais français, répond heureusement une distribution homogène et de qualité.
Après Benvenuto Cellini, La Juive, Les Huguenots, Fra Diavolo et Les Contes d’Hoffmann, John Osborn confirme sa suprématie dans le répertoire français : impeccable diction, élégance du phrasé, ligne de chant souple et raffinée, registre aigu insolent, son Henri réunit tous les agréments d’une technique belcantiste de haute école et d’un héroïsme jamais feint, qui lui permet de venir à bout, sans difficulté apparente, d’une écriture escarpée. Vocalement pugnace en chef des patriotes, Michele Pertusi, qui semble avoir retrouvé ces derniers temps une nouvelle jeunesse, est un Jean de Procida des plus convaincants, tandis que Roberto Frontali se tire avec les honneurs du rôle ingrat du gouverneur Monfort, malgré un timbre monocorde auquel manque un soupçon de noblesse et des inflexions plus recherchées. A 31 ans, Roberta Mantegna paraît encore inexpérimentée pour se confronter à un rôle aussi riche et complexe que celui de la Duchesse Hélène. Desservie par un timbre acide, un grave inexistant et un français incompréhensible, la soprano se ménage avant de se montrer plus concernée dans les deux derniers actes, ou son aigu enfin libéré sonne avec plus d’éclat à mesure que son personnage s’adoucit face à son futur époux, tout en attendant avec impatience l’heure de la vengeance.

Michele Pertusi (Jean Procida) © Yasuko Kageyama - Opera di Roma

Le spectacle signé Valentina Carrasco (qui a fait ses classes auprès du collectif catalan La Fura dels Baus) et Massimiliano Volpini, illustre assez banalement l’action censée se situer en Sicile au 13ème siècle et ici transposée à notre époque. L’espace occupé par un décor (signé Richard Peduzzi) que ne renierait pas Anselm Kiefer (on se souvient de son installation milanaise intitulée The seven heavenly palaces) constitué de murs et de tours de garde en béton fabriqués à la hâte par des ouvriers aux ordres de l’occupant français, n’est que tristesse et désolation, les Siciliens tout simplement réduits à l’état d’objets. Sur ce lieu de pouvoir et d’oppression recomposé, ces esclaves brutalisés ou exécutés sont là pour rappeler tous les maux de notre société européenne actuelle, mais sans grand souci de cohérence. Platement dirigés, les personnages sont bien peu caractérisés, les scènes de foule souvent imprécises et le ballet une pâle copie de ce que faisait Pina Bausch dans son célèbre Vollmond, inoubliable orgie aquatique pour danseuses et seaux d’eau… C’est à peine si l’on comprend, lorsqu’au final les cloches funèbres retentissent, que l’insurrection est annoncée et que l’ennemi va bientôt être écrasé … Dommage !

François Lesueur

Verdi : Les Vêpres siciliennes  – Rome, Teatro Costanzi, 15 décembre ; prochaines représentations les 17, 19 & 22 décembre 2019 // www.operaroma.it

Photo John Osborn (Henri), Roberto Mantegna (Helène) & Roberto Frontali (Montfort) © Yasuko Kageyama - Opera di Roma

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