Journal
Les Parapluies de Cherbourg au Châtelet – Paris sort ses Parapluies
Michel Legrand © Simon Fowler
Grand triomphateur de cette émouvante soirée, le compositeur n'a pas déçu ses admirateurs, ayant pris soin d’homogénéiser sa musique, de rééquilibrer les passages entre chaque séquence, d'unifier les timbres, de fondre ses rythmes et ses couleurs si singulières où la mélancolie flirte toujours avec la plus pure ivresse. Si les premiers accords de l’Orchestre National d'Île-de-France, dirigé avec vélocité par le compositeur, cohabitent d'abord assez mal avec les voix amplifiées des chanteurs, les réglages d'usage ont permis par la suite de stabiliser le rendu sonore et de réjouir nos oreilles.
Vincent Niclo (Guy) et Marie Oppert (Geneviève) succèdent sans démériter, avec talent et conviction, au couple Castelnuovo/Deneuve resté dans la mémoire des cinéphiles : lui de sa voix douce et caressante habite son personnage en y mettant du charme et de l'émotion, veillant à ne pas chanter haché comme le veut la « tradition » actuelle de la comédie musicale ; elle jolie comme un cœur avec ses airs à la Isabelle Carré, vive comme un torrent, pétillante vocalement et scéniquement (à seulement 17 ans !), se laisse lentement rattrapée par son destin, finalement résignée à suivre le chemin tracé par sa mère manipulatrice.
Natalie Dessay (Mme Emery) ne peut s’empêcher d'en faire toujours un peu trop (trop de gesticulations, d’œillades appuyées, de grimaces) ce qui l'éloigne de la distinction et du chic parisien naturellement exhalé dans le film par Anne Vernon, mais se coule avec adresse dans cet univers musical coloré, prenant plaisir à faire swinguer les mots et à tirer profit de la drôlerie de certaines répliques. Une reconversion qui semble satisfaire la soprano française qui a si souvent clamé qu'il n'y a pas que l'aigu dans la vie ! Avec ce flegme et cette pudeur que nous lui connaissons, Laurent Naouri offre un élégant portrait du diamantaire Roland Cassard, qu'il chante avec une rigueur feutrée, comme en retrait, pour ne froisser personne.
Sur la scène et devant un orchestre bruissant de mille expressions, nous retrouvons également la touchante Tante Elise de Jasmine Roy (Madame Germaine et une fille), cette fois dans une chaise roulante et non plus clouée dans son lit comme chez Demy, ainsi que la discrète Madeleine (Louise Leterme) sorte de Geneviève bis, coiffée et habillée de la même manière par la très courtisée créatrice de mode Vanessa Seward.
Signés Sempé, les éléments de décor conçus comme autant de vignettes de bande dessinée grossièrement déchirées et déplacés à vue, permettent à Vincent Vittoz de situer l'action dans le temps (1957-1963) et les lieux (magasin, appartement, café..) et de créer une habile mise en espace qui ne souffre d'aucun temps mort. Ouvert sur un ballet de parapluies multicolores, ce mélodrame intemporel se referme de façon similaire, les personnages unissant une dernière fois leur voix en un chœur doux-amer, qui laisse à l'auditoire le temps d'essuyer une larme...
Un beau spectacle de rentrée, curieusement programmé à quatre reprises quand le public en attendrait vingt ... Le spectacle est heureusement disponible en replay sur Culturebox (3) et sera diffusé sur France 3 pour les fêtes de fin d’année
François Lesueur
(1)au Théâtre Montparnasse dans une mise scène de Raymond Jérôme
(2) Directrice du Kneehigh Theatre de Londres
(3)http://culturebox.francetvinfo.fr/live/musique/les-parapluies-de-cherbourg-au-theatre-du-chatelet-186817 (disponible jusqu’au 15 mars 2015)
Legrand : Les Parapluies de Cherbourg – Paris, Théâtre du Châtelet, 11 septembre, dernière représentation le 14 septembre 2014
François Lesueur
Photo © Marie-Noëlle Robert
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