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« Les Concertos Brandebourgeois » par la compagnie d’Anne Teresa de Keersmaeker – Les gigotations de Madame Rosas – Compte-rendu
Née en 1983, la compagnie Rosas a beaucoup fait parler d’elle et sa fondatrice, Anne Teresa de Keersmaeker, n’est pas une personnalité négligeable dans le monde de la chorégraphie contemporaine. D’abord considérée comme une émule de Pina Bausch, dont la personnalité vampirisait les autres inspirations, elle s’en est assez vite détachée, mue par une autre nécessité, celle d’explorer la musique, mission à ce jour bien remplie notamment avec une belle vision de la Grosse Fuge et un travail mené autour des Suites pour violoncelle seul de Bach.
Là, bien moins arides, les six Concertos brandebourgeois lui ont servi en 2018 – la pièce a été créée à la Volksbühne de Berlin en septembre dernier – de point de part pour une lecture plus qu’ambitieuse, dont le programme donne une idée inquiétante : Gilles Deleuze, Kant sont parmi les maîtres à penser de la visionnaire, qui passionnée par l’infini renouvellement de la musique de Bach, cherche à en faire percevoir la structure mathématique, autant que la charge émotive, en cherchant les correspondances entre éléments musicaux et dansés.
Hélas, voilà que ce qui se voudrait naturel n’apparaît que niais, et que les danseurs, choisis parmi trois générations de danseurs de la compagnie, mêlent en une succession de sautillements et de mouvements esquissés (même s’ils sont forcément très difficiles), une sorte d’illustration au petit pied de chaque inflexion, de chaque nuance, de chaque changement de rythme de la musique. Un trait de cor, et on saute, un allegro enlevé, et on avance d’un pas joyeux, un son grave, et l’on tape du pied. C’est Bach expliqué à la maternelle.
© Anne van Aerschot
Le faux naturel, c’est pire que le vrai, surtout quand une extrême sophistication veut lui donner une allure de réflexion profonde : le plateau de l’opéra est déshabillé, on n’en voit plus que le fond des coulisses, les danseurs vêtus d’oripeaux noirs signés An d’Huys n’offrent en rien la vision épurée des corps à laquelle on s’attendrait, puisqu’ils portent des tenues prétentieusement « décalées », hauts transparents, shorts battants, robe et talons ou pantalon avec brassière pour les filles. La diversité, peut être, mais régie par le mode de pensée actuel. Le contraire d’un Bach que l’on voudrait intemporel. Et ils gigotent, tressautent, avec de vagues réminiscences hip hop, ou marchent d’un air pénétré.
Le grand art permet parfois d’attendre à l’essentiel avec d’infinies manipulations des corps et de l’espace. Et pour cela, il faut être un très grand artiste : on en jugea avec les Variations Goldberg chorégraphiées par le génial Robbins. Ici, on ne voit que l’inachevé, l’inabouti, et souvent le laid, aucun geste n’atteignant de pleine portée. Mais la nature veille, qui remet en place nos velléités d’harmonie : ici le sommet est atteint lorsqu’un chien vient aboyer sur scène, moment artistique d’une grande intensité. Et le téléphone de la voisine qui sonnait gaiement n’a même pas paru intempestif ! Il faisait partie de la vie ! Allons donc…
Pour être honnête, on ne déflorera pas ce qui s’est passé durant les trois derniers Concertos, une fuite éperdue nous ayant conduite à ne subir que les trois premiers, d’autant que le pauvre Jean-Sébastien se voyait malmené (pas au niveau des cordes heureusement) par les redoutables stridences des cors et de la trompette du B’Rock Orchestra, dirigé par Amandine Beyer. Le meilleur restait sûrement à venir…
Jacqueline Thuilleux
« Les Concertos Brandebourgeois » – Paris, Palais Garnier, le 13 mars 2019 ; dernière représentation le 14 mars 2019 // www.operadeparis.fr
Photo © Laurent Philippe
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