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L’Ensemble Intercontemporain et Les Métaboles jouent Francesco Filidei – Le souffle de vie d’un grand Requiem – Compte rendu

 
 

Fin mars, Léo Warynski (photo) et son ensemble vocal Les Métaboles se joignaient à l’Ensemble Intercontemporain, dirigé par Pierre Bleuse, pour le magnifique concert célébrant le centenaire de la naissance de Pierre Boulez, avec à la clef une fascinante création pour chœur et ensemble signée Michaël Jarrell (... il semble que ce soit le ciel qui ait toujours le dernier mot…). Une quarantaine de jours plus tard, revoici Léo Warynski, cette fois seul à la tête des Métaboles et de l’EIC pour un concert entièrement consacré à la musique de Francesco Filidei – une musique qu’il connaît très bien, au moins depuis les représentations de Giordano Bruno, premier opéra du compositeur, en 2015.

 

© Quentin Chevrier

 
Surprendre sans égarer
 
En première partie, quatre œuvres s’enchaînent sans interruption, alternant musique instrumentale et pages pour chœur a cappella. Cet agencement crée une atmosphère d’écoute extrêmement concentrée et souligne la grande cohérence de la pensée musicale du compositeur. Les deux pièces instrumentales – Ballata n° 2 et Ballata n° 3, composées en 2011 et 2013 – répondent à une même forme, à la fois très tenue et constituée de nombreux épisodes caractérisés chacun par des effets sonores (la sourdine wha-wah du trombone dans Ballata n° 2, le piano doublé – avec quelle précision sous la direction de Léo Warynski – par des pierres entrechoquées, jouées par le corniste et le tromboniste dans Ballata n° 3, appeaux divers). C’est une façon de structurer à la fois le temps et l’espace sonores : le temps car cela crée des points de repère dans une possible narration, l’espace parce que cette focalisation soudaine sur un élément sonore amène toujours, immédiatement après, à le resituer dans son environnement, ses interactions complexes avec les autres sons. Francesco Filidei surprend toujours mais n’égare jamais.
Après chaque Ballata, les pièces chorales viennent poser un léger voile sur ce que l’on vient d’entendre. Elles en sont même un peu l’écho, car il y a là aussi, une structure combinatoire en épisodes, en strophes. Dans Dormo molto amore (2012) et Tutto in una volta (2020), les mots se recomposent sans cesse, et le sens avec eux se fait énigme. Dans la première, les quelques mots du poème de Stefano Busellato (« dormo-molto-amore-ore-dopo-non-aver-fatto-morte ») servent de canevas à une exploration du temps musical et des puissances expressives de la voix. Cette écriture puise autant dans une tradition chorale pluriséculaire qu’elle invente en permanence un langage d’aujourd’hui.

 

© Anne-Elise Grosbois
 
L’une des grandes œuvres de notre temps
 
Dans le Requiem (2020), le souffle de l’orchestre précède celui des voix : on retrouve le son des rhombes (palette de bois dont le mouvement circulaire émet un ronflement), les glissements d’archets qui déroulent un fil sonore ininterrompu quoique traversé par les éclats multiples (percussions, sons multiphoniques). Profondément  dramatique et poignant, ce Requiem d’aujourd’hui est tantôt exubérant, tantôt lyrique, tantôt illustratif (pages des partitions véhémentement tournées pour le « Liber scriptus » ; appeaux, boîtes à vache, chant à caractère pastoral sur le « Inter oves » ; citation du thème grégorien du Dies Irae) – mais cette imagerie est alors transfigurée par l’écriture acérée. À l’issue de l’Agnus Dei, quand s’éteignent les dernières vibrations des rhombes, la salle des concerts de la Cité de la musique retient son souffle. Léo Warynski, les choristes et les musiciens viennent de révéler dans toute sa perfection l’une des grandes œuvres de notre temps.
 
Jean-Guillaume Lebrun

 

 Paris, Cité de la musique, 6 mai 2025

Photo © Anne-Elise Grosbois

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