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L'Ensemble Calliopée et la Grande Guerre – Ombre et lumière – Compte-rendu

 On sait combien la Première Guerre mondiale fut une époque charnière, point de rupture – historique, politique, sociale, économique, culturelle – entre « le monde d'hier », comme disait Stefan Zweig, et ces Années folles qui commencent au lendemain du conflit et vont se fracasser sur la crise de 1929. Tels grands maîtres arrivaient alors au terme d'un long parcours de création (Saint-Saëns ou Fauré) ou seraient bientôt emportés, bien qu'encore dans la force de l'âge (Debussy, Caplet) ; d'autres survivraient, pour certains largement, à ces années tragiques mais extrêmement fécondes du premier conflit mondial (Jongen, Inghelbrecht, Ibert).
 
C'est dire si, en se « spécialisant » dans le répertoire naturellement multiple des années 1914-1918, l'Ensemble Calliopée, fondé en 1999 et dirigé par Karine Lethiec, ouvre en réalité un champ d'exploration absolument gigantesque, alors qu'on pourrait l'imaginer de prime abord plus étroitement circonscrit. D'autant que la formation à géométrie variable (de deux à douze musiciens) n'hésite pas à remonter le temps comme à en suggérer les prolongements, dès lors qu'une fructueuse parenté de climats d'elle-même s'impose. En témoigne le splendide programme musical du ciné-concert donné le 23 octobre dernier au Cinéma Majestic de Meaux, en coproduction avec le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, l'ECPAD et le Ciné Meaux Club.
 
Ouvert en 2011, le Musée de la Grande Guerre est le seul musée français à bénéficier, depuis l'origine, du concours d'un ensemble en résidence : l'Ensemble Calliopée, donc, au moins jusqu'à la fin des célébrations du centenaire 14-18, en 2019. Avec à la clé une multitude de concerts et de spectacles abordant une thématique sans cesse renouvelée, doublée de l'indispensable dimension pédagogique de rigueur, auxquels fait écho une discographie sélective évoquant à la fois cette époque et sa suite immédiate à travers la musique d'un Lucien Durosoir (1878-1955) ou de Bohuslav Martinů (1890-1959 – avec notamment la redécouverte-création du Trio à cordes H.136 de 1924).
 
Lors de ce ciné-concert, la musique pour flûte et harpe – Anne-Cécile Cuniot et Sandrine Chatron – n'avait pas vocation, ce que seule l'improvisation permettrait, à commenter les images muettes : Annales de la guerre (actualité du 15 avril) et Pour la Victoire, deux documentaires réalisés en 1917 par le Service Cinématographique des Armées, La fabrication des casques (1917) et Les enfants de France pendant la Guerre (fiction de 1918, film teinté et coloré aux pochoirs d'Henri Desfontaines, 1876-1931, réalisateur et scénariste prolifique, également acteur), mais à les sous-tendre d'œuvres de première grandeur, contemporaines des événements et/ou en synergie sur le plan dramatique et sensible.
 
Originales pour la plupart, parfois sous forme d'arrangements, ces œuvres permirent d'entendre successivement, au fil des quatre sections à l'écran : Danse lente (1924) de Joseph Jongen, Pièce en forme de Habanera (1907) de Ravel, Fantaisie op. 98 (1898) de Fauré ; Sonatine (1919) de Désiré-Émile Inghelbrecht ; Vermont Counterpoint pour flûte et bande (1982) de Steve Reich, pièce à l'origine écrite pour dix instruments pré-enregistrés (flûtes alto, flûtes et piccolos par trois + flûte solo), tous dialoguant avec une flûte solo sur le vif – en l'occurrence Anne-Cécile Cuniot avait elle-même enregistré la bande, d'une complexité et d'une vivacité extrêmes, sur laquelle elle greffa sa partie soliste (trois types de flûte également) ; Suite en duo (1927) de Jean Cras, Divertissement à la française pour harpe seule (1924) d'André Caplet (une merveille !), Suite de trois morceaux op. 116 (1889) de Benjamin Godard, Entr'acte (1935) de Jacques Ibert.
 
Situées sur le côté de la scène-écran, on pouvait redouter pour les musiciennes un déploiement sonore insatisfaisant, en raison d'une acoustique plutôt sèche. Formidable surprise, les timbres étaient non seulement d'une présence et d'une projection étonnantes, mais avec tout le charme de cette proximité immédiate qu'offre la musique de chambre, de sorte que chaque pièce, jouée avec infiniment de puissance et d'éclat, d'élégance et de subtilité, devant un public aussi divers qu'attentif, dont nombre d'enfants, fut un ravissement, et le plus souvent une découverte. Autant de petits chefs-d'œuvre, tous différents, tous saisissants, brassant quantité de sentiments, des plus vifs ou héroïques aux plus attendrissants, non sans humour côté images également, devant « les enfants de France », la distance dans le temps gommant désormais sans peine toute idée de patriotisme intempestif ou de circonstance.
 
Parmi les concerts à venir de l'Ensemble Calliopée répondant à la thématique 14-18, citons Artistes entre guerre et paix, à l'évocation musicale s'ajoutant peinture et littérature, les 8 et 9 novembre à Tournai et Villeneuve d'Ascq ; Quand la musique raconte la Grande Guerre, avec Aude Giuliano (accordéon) et Karine Lethiec (alto et direction artistique), les 11 et 27 novembre à Fourqueux (78) et Tours ; Musiciennes dans la Grande Guerre, le 28 novembre à Tours ; également Les musiciens britanniques dans la Grande Guerre, le 7 décembre au Théâtre Luxembourg de Meaux, vaste programme avec récitant et ténor en lien avec l'exposition Join now! L'entrée en guerre de l'Empire britannique, inaugurée au Musée de Meaux le 28 juin et qui refermera ses portes le 29 décembre prochain.
 
Michel Roubinet
 
Meaux, Cinéma Majectic, 23 octobre 2014
 
 
Sites Internet :
 
Ensemble Calliopée
www.ensemblecalliopee.com/index.html
 
Ensemble Calliopée / Concerts et spectacles sur le thème de la Grande Guerre
www.ensemblecalliopee.com/agenda/page144/assets/Ens.Calliopee_PROG%20Grande_Guerre_Complet.pdf
 
Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux
www.museedelagrandeguerre.eu
 
ECPAD (Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense)
http://www.ecpad.fr
 
SCA (Service Cinématographique des Armées)
http://www.ecpad.fr/le-service-cinematographique-des-armees-installe-au-fort-divry
 
Ciné Meaux Club
http://cinemeaux.wordpress.com

Photo © Yannick Marques

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