Après une soirée de samedi consacrée à Wagner, qui a donné à entendre un orchestre de la RAI aux couleurs et au son bien plus verdiens que wagnériens, l’escale du Vaisseau fantôme, en provenance de Cologne, lundi au Grand Théâtre de Provence, était très attendue et a tenu ses promesses, s’achevant par une deuxième ovation debout, après celle réservée dimanche à Alexandre Kantorow à l’issue de son récital.
 
Une escale en version de concert pour cette production mise en scène en Allemagne par Benjamin Lazar et déjà jouée trois fois de l’autre côté du Rhin où elle sera encore donnée à huit reprises après son escapade aixoise, poursuivant ensuite sa navigation à Paris, au Théâtre des Champs Elysées, le 15 mai prochain.(1) Un timing idéal pour bénéficier à Aix-en-Provence d’une interprétation aboutie, sous la direction de François-Xavier Roth, à la tête du Gürzenich Orchester Köln, l’un des deux orchestres symphoniques de Cologne dont le Français est directeur musical depuis 2015, du chœur de l’Opéra de Cologne et d’un éblouissant sextuor de solistes.
 

© Caroline Doutre

Lorsqu’il compose Le Vaisseau Fantôme, Wagner commence à tourner le dos à la forme opératique binaire livrant un opéra romantique solide aux trois actes donnés sans interruption qui préfigure ce qui viendra après dans sa production. Une partition puissante servie avec beaucoup de rigueur par François-Xavier Roth qui, deux heures et quart durant, maintient une tension extrême captivant l’auditeur et l’entraînant au cœur de la légende avec d’autant plus de facilité que l’unité de temps et de lieu impose sa densité au drame. Et comme le directeur musical connaît parfaitement, et dans le détail, chaque instrumentiste de chaque pupitre de l’orchestre il n’a aucun mal a hisser cette partition vers des sommets d’interprétation toute de puissance et de sensibilité. On peut en dire autant du chœur de l’Opéra de Cologne, idéalement préparé par son chef Rustam Samedov ; il apporte plus qu’une pierre à l’édifice musical, répondant avec exactitude aux sollicitations de François-Xavier Roth qui n’hésite pas à déplacer les hommes pour les faire chanter à l’avant-scène au IIIe acte. Ce chœur d’extrême qualité, à tous les pupitres, fait preuve de rigueur tout en mettant en exergue ses capacités à colorer et à nuancer son chant. De la belle ouvrage.
 

Ingela Brimberg © Caroline Doutre
 
Puis il y a les solistes, monumentaux. James Rutherford (photo), colosse barbu, incarne le Hollandais. Son physique impressionne, sa voix aussi qui tire le meilleur de sa tessiture au service d'une partition diabolique entre basse et aigus. Projection prodigieuse, on pourrait penser qu’il n’est que puissance. Faux ! Le baryton-basse britannique procure à son personnage une réelle dimension émotionnelle, depuis la compassion qu’il suscite en narrant son histoire maudite jusqu’à une scène ultime où il laisse paraître une grandeur d’âme entre pardon et résignation. Un immense interprète ! A l’instar de la Senta de la Suédoise Ingela Brimberg, wagnérienne accomplie, vocalement stupéfiante, avec des aigus phénoménaux, de la puissance, beaucoup de sensibilité aussi.
La couleur vocale de Karl-Heinz Lehner souligne sans peine chez Daland le côté obscur du personnage, mettant en évidence son machisme et sa cupidité ; le baryton-basse offre une belle ligne de chant, souple et détaillée, idéalement projetée. Appréciés, aussi, le Erik de Maximilian Schmitt, solide ténor, la Mary de Dalia Schaechter et le pilote Dmitry Ivanachey.
Un triomphe incontesté et incontestable, au bout d’une soirée qui marquera, sans aucun doute le Festival de Pâques 2023 d’Aix-en-Provence.