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Le Temps d’aimer la danse à Biarritz - Riche moisson - Compte rendu

Les coups sont frappés, et le Festival s’est mis à rouler ses grandes vagues chorégraphiques, avec une ouverture en beauté : comment résister à la sensuelle élégance du maître hollandais Hans Van Manen, à la touchante quête d’identité des danseurs de la Batsheva Dance Company, à la grâce du dernier cru Malandain. De quoi combler les amoureux d’un art glissant du néo-classique à une danse existentielle, comme détachée du regard que le danseur, cet éternel narcissique, suscite pour mieux s’y lire.

Du majeur au mineur, avec des petits groupes valeureux mais peu aboutis, la gamme des spectacles donne à ce Temps d’aimer sa saveur pimentée, son velours, sa vitalité provocante et ses certitudes : celle par exemple qu’académisme peut rimer avec érotisme, et troubler autant que combler par ses lignes parfaites : c’est, on l’a dit, le cas du Dutch National Ballet invité par Malandain, lequel, directeur du Festival, a voulu marquer un temps fort de la danse du XXe siècle, en hommage au grand Hans Van Manen pour ses 80 ans.

D’emblée, Grosse Fuge sur la musique de son compatriote Beethoven, un chef-d’oeuvre quarantenaire, porte- flambeau de son style, et qui a beaucoup couru le monde : Van Manen y inscrit les rapports profonds et charnels de couples qui cisaillent l’espace. Danseurs splendides, au placé accompli, notamment l’ukrainien Alexander Zhembrovskyy, à l’envergure post-béjartienne, pour jouer cette fusion en noir et blanc, comme les touches d’un clavier. De Beethoven à Britten, le programme montre ensuite humour, piquant, virtuosité et lyrisme avec la même élégance harmonieuse: la touche Van Manen.

Certes Ohad Naharin, qui préside aux destinées de la prestigieuse Batsheva Dance Company, venue de tel Aviv où elle fut créée en 1964 par Martha Graham, n’a rien à lui envier comme force créatrice. Mais celle-ci est habituellement plus accrocheuse que dans ce Hora où, une heure durant, chaque interprète se met à nu dans un élan dynamique qui évite tout expressionnisme et tout pathos. Pas de fil conducteur au gré de standards agglutinés qui vont du Concerto d’Aranjuez à la Chanson de Solveig en passant par Starwars : on savoure les belles différences de ces interprètes puissants, mais sans vraiment y adhérer. Et, bizarre retournement, ce qui se voudrait façon d’être plus que d’être vu, reste un spectacle…

Rien de tel avec le Malandain Ballet Biarritz, posé un soir face à la mer : habités par la pensée et la manière de leur chorégraphe, les danseurs se plient à ses rêves et nous les font pénétrer, tandis que lui se dégage peu à peu de ses obsessions avec une maturité affirmée, ce qui lui permet d’atteindre à une innocence retrouvée. Ainsi l’exquise Dernière chanson, où tandis que s’égrènent de vieux et doux refrains glanés par Vincent Dumestre et enregistrés par son Poème Harmonique, les danseurs baignent dans un Eden d’enfance et de grâce, en tendre pas de deux, en rondes naïves . En prélude à une soirée très Ballets Russes où ont défilé trois créations majeures de Malandain, de son Faune à son Spectre de la Rose, vertiges de l’amour, avant de conclure sur son sauvage et impérieux Boléro. Là, aucun flottement, toutes ces pièces procèdent d’une pensée parfaitement conduite, même si Malandain semble toujours s’inquiéter de ses sautes d’inspiration, ce qui est rassurant !

Chaque soir, le Festival remet ainsi sur l’établi les composantes de la danse, propose la tradition indienne de Rukmini Chatterjee face à un groupe de black metal norvégien, mêle hip hop et cous de pieds sublimement arqués, promène d’Italie en Equateur avec la Compagnie nationale de ce pays en ébullition artistique, secoue corps et esprits, descend dans la rue sans se brader. Une réussite plurielle.

Jacqueline Thuilleux

Biarritz, Festival ‘Le Temps d’aimer la danse », jusqu’au 16 septembre 2012/ www.letempsdaimer.com

Représentations des 7, 8 et 9 septembre 2012

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Photo : DR
 

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