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Le Songe de Jean-Christophe Maillot, par les Ballets de Monte Carlo – Le rêve a du corps – Compte- rendu

C’est la nuit, c’est l’été, c’est le bouillonnement des désirs et des rêves, la porte ouverte à toutes les licences, la langueur, l’abandon, la malice aussi, c’est Le Songe, tel que Jean-Christophe Maillot l’a imaginé en 2005 à partir du papa Shakespeare : non tel qu’un Neumeier, chez qui il le dansa, l’avait transposé dès 1977 en mêlant Ligeti et Mendelssohn, dans une ambiance suspendue des plus étranges. Mais tel que son tempérament de feu le lui trace, plus préoccupé de magie amoureuse que de réflexion sur l’immatérialité des elfes ! Et tout le ballet n’est qu’un tourbillon frénétique, où la vision du chorégraphe s’exprime avec une sensualité franche et vigoureuse. « Je ne sais si on pourrait aujourd’hui montrer des ébats de telle façon, à notre époque de mises en garde perpétuelle et de censure », remarque-t-il, navré.
 
Sa Titania, sublime et pulpeuse, sort-elle du Crazy horse ou d’une Académie Princesse Grâce ou Vaganova ? Assurément les deux ! En la voyant onduler comme une liane, que ce soit avec le page – très hermaphrodite, car c’est une ravissante danseuse, Kaori Tajima, qui l’incarne – ou autour de l’âne Bottom auquel un mauvais sort l’attache pour un moment de délire sexuel, et enfin se lancer avec un Oberon très faunesque, le séduisant Francesco Mariottini, dans un condensé du Kamasoutra, que sa souplesse et ses courbes  lui permettent, on se pose la question : en fait, il s’agissait pour la première, de la merveilleuse Marianna Barabas, qui fut dans la récente Mégère Apprivoisée de Maillot, une Blanca délicate et lyrique.
 
© Alice Blangero
 
Lyrique, justement, c’est une facette quasi absente de la riche palette de modes d’expression de Maillot. Il est trop vitaminé pour cela. Ses personnages sont dans l’action, voulue ou non, leurs corps vibrent de passions et de désirs bien terrestres, même s’il sait admirablement, quand l’envie l’en prend, plonger au cœur des espaces intersidéraux de l’inconscient, vers lequel l’attire son goût pour les contes souvent sombres. Mais sa forêt, ici, ne parle que d’Eros, tandis que ses athéniens, en fait trois couples, celui, royal, de Thésée et Hippolyte, et les deux autres du chassé-croisé imaginé par Shakespeare, Hermia et Lysandre, Helena et Demetrios, s’y poursuivent et s’étreignent dans un vagabondage amoureux étincelant de drôlerie, et  que les elfes et les fées, eux, s’ébattent dans une autre dimension, plus lourdement charnelle, libre de toute contrainte humaine.
© Alice Blangero
 
Quant au groupe des artisans, ils sont ici le reflet de l’amour de Maillot pour le cirque et l’univers bon enfant des tréteaux : montrés comme une troupe bavarde et chaotique de comédiens ambulants tout à fait ridicules, ils sont enfantins et touchants. Tout cela coule, avec une surabondance de gestes fantasques et précipités, qui demandent une virtuosité remarquable de la part des danseurs des Ballets de Monte Carlo, lesquels n’ont pas l’air de s’en plaindre : outre des portés incroyables, on remarque par exemple, une arabesque d’Helena, qui, éconduite et lâchée exprès par Démétrius, retombe directement en grand écart ! Cela doit les changer de la danse contemporaine façon Cunningham ! Ils sont beaux, jeunes, fougueux, exubérants. Mais tous, des humains aux fées, sont dominés par le maître à danser de la soirée, le fantastique Puck, délicieusement malfaisant dans sa voiturette en forme d’iris, un vrai diable auquel Daniel Delvecchio donne des ailes autant que des pieds crochus. Il est éblouissant.
 
Un conte dansé mi-farceur mi-onirique, irradiant un bonheur ludique et sexy, grâce à cette ivresse de danse et aussi aux lumières fines de Dominique Drillot, aux décors sobres et intelligents d’Ernest Pignon-Ernest, aux costumes glamour de Philippe Guillotel, qui permettent d’admirer les lignes, et viennent soutenir de leur séduction troublante les pages  grondantes de Daniel Teruggi pour l’univers des fées, le concentré de gaieté cocasse dû à Bertrand Maillot pour les comédiens, et, pour le monde des athéniens, l’irrésistible Mendelssohn, maître du jeu encore et toujours. Et Maillot nous fait grâce de la Marche nuptiale. Tout est déjà consommé !  
 
Jacqueline Thuilleux
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Le Songe (chor. J.-C.Maillot) – Paris, Théâtre National de Chaillot 8 juin : autres représentations les 12, 13, 14, 15 juin
 2018 / www.theatre-chaillot.fr
 
Photo © Alice Blangero
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