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Le Collegium 1704 aux Concerts d’automne de Tours – Une communicative exaltation – Compte-rendu

Pour ouvrir la seconde édition des Concerts d'automne, placée sous le signe de l'Europe dans son unité et sa diversité, Alessandro Di Profio, directeur artistique de la manifestation organisée à l'instigation de la Ville de Tours, avait convié l'ensemble tchèque Collegium 1704. Au programme, une confrontation entre deux contemporains qui se connaissaient et s'appréciaient : Johann Sebastian Bach et Jan Dismas Zelenka, non pas à armes inégales mais fourbies de manière on ne peut plus différente. La défense de l'œuvre considérable – 251 numéros (1) – mais encore très partiellement connue de Zelenka (1679-1745) s'est imposée au fil du temps telle la mission première de cette double formation, Collegium 1704 & Collegium Vocale 1704, créée en 2005 par son chef Václav Luks (photo), claveciniste et corniste, et entendue pour la première fois en France il y a dix ans au Festival de la Chaise-Dieu.
 
Missa, ou comment un même terme peut refléter des réalités musicales presque opposées. Nullement exclue de la liturgie par Luther, la langue latine innerve la grande Messe en si mineur de Bach mais aussi ses quatre Messes « luthériennes », constituées des seuls Kyrie et Gloria. Celle en sol mineur BWV 235 (entre 1735 et 1742), entendue en première partie de concert, puise dans la matière musicale des Cantates BWV 102, 72 et 187 : en allemand ou en latin, Bach demeure l'incarnation d'un esprit et d'une rhétorique indissociables de la Réformation, chaque mot, chaque note affirmant une densité de la pensée nourrie d'une science vertigineuse du contrepoint.
 
Rien de tel, au risque de caricaturer l'opposition Bach/Zelenka, chez le maître tchèque, dont l'essentiel de la carrière se fit d'ailleurs non pas en Bohême mais à la cour catholique de Dresde – le contrepoint est bel et bien présent, mais sans se soucier de tenir sur la durée.
 Disciple de Fux à Vienne, il aurait, contrairement à Bach, fait le voyage d'Italie et rencontré Antonio Lotti et Alessandro Scarlatti : l'influence italienne est omniprésente dans la vaste Missa Omnium Sanctorum ZWV 21 de 1741 qui constituait la seconde partie du programme. Tout ici respire la splendeur revendiquée de la Contre-Réforme – on songe aux fastes de Salzbourg, entre Biber et les messes à venir des Haydn ou de Mozart. Zelenka y est aussi brillant (et surprenant, ainsi sur le plan de l'inventivité et de l'exigence orchestrales) que Bach est profond, l'importance et le rôle de la parole n'étant décidément pas les mêmes dans l'affirmation de la foi et son décorum formel.

© Remi Angeli

La force du concert tenait en particulier à l'éclairage distinctif porté sur l'un et l'autre compositeurs, univers aussi voisins dans le temps et l'espace que tournés dans des directions étonnamment différentes. Ce que reflétait un détail de la disposition du plateau, les deux hautbois constitutifs de la couleur de la Messe de Bach étant placés au centre, de part et d'autre de l'orgue positif, puis sur le côté des cordes pour Zelenka – du baroque à son apogée vers le classicisme en devenir.

Un tel programme sous les ors d'un théâtre très IIIème République (petit Palais Garnier, avec hall, grand escalier, salle à l'italienne et foyer, le tout magnifiquement préservé) ? L'agencement de l'orchestre, pour ainsi dire dans la salle, à hauteur des loges d'avant-scène, se révéla si favorable à l'épanouissement du son que l'idée d'un hiatus esthétique aussitôt s'estompa.
Seuls les seize choristes, à peine derrière le cadre de scène, furent par moments légèrement « affaiblis » par l'imposant déploiement instrumental. Choristes parmi lesquels chantaient tous les solistes – dont un alto féminin pour le Domine fili unigenite de Bach –, les airs étant toutefois interprétés sur le devant de la scène : voix non pas grandes, mais d'une présence, d'une articulation et d'une intégration à cet ensemble vigoureusement à taille humaine tout simplement optimales, en harmonie avec la direction ciselée d'un Václav Luks impressionnant de fougue, jusqu'à une certaine et belle âpreté, et d'impétueuse souplesse. Un engagement absolu, sans l'ombre d'une baisse de régime, pour une exaltation communicative des tempéraments contrastés de Bach et de Zelenka.
 
Michel Roubinet

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(1) www.jdzelenka.net/index.php
Site consacré à l'œuvre de Jan Dismas Zelenka – purement et simplement ignoré, en 1992, par le Guide de la musique sacrée et chorale profane (Vol. 1 : L'âge baroque, 1600-1750), collection Les indispensables de la Musique, Fayard. Que de chemin parcouru depuis pour la reconnaissance de ce compositeur…
 
 
Tours, Grand Théâtre, 13 octobre 2017 / Concerts d’automne, jusqu’au 29 octobre : concerts-automne.com/
 
 
Site du Collegium 1704
www.collegium1704.com/en/

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