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Le Chevalier à la rose selon Christoph Waltz au Grand Théâtre de Genève – Lutte des castes – Compte-rendu
© Magali Dougados
Son Rosenkavalier se déroule dans un décor gris évoquant l’Alcina de Robert Carsen. Il y a d’ailleurs chez le metteur en scène autrichien et sa costumière Carla Teti la même élégance racée et un goût prononcé pour les couleurs rares ; moutarde des livrées de la maison Faninal, lilas et prune pour la Maréchale, vert amande et jaune sorbet pour Sophie, mariés au bleu passementé d’argent d’Octavian. Écrasant ce bouquet très féminin, Ochs impose ses tweeds d’automne et ses rustreries d’hobereau balourd. Mais Waltz, plutôt que le caricaturer, rend attachante la désespérance du jouisseur.
Voilà une mise en scène sobre et classique, avec ce qu’il y faut de strates de lecture ne cherchant ni l’idéologisation à outrance, ni la culpabilisation du public. Pas d’entrepôt trash ou de décadence d’oligarques, ici on est viennois ou on ne l’est pas ; ce que Waltz, fils d’acteurs et amateur d’art lyrique, démontre en refondant cette production montée il y a dix ans à Gand.
Le livret volubile de Hofmannsthal est décortiqué au millimètre près. L’acteur fétiche de Tarentino offre, à la fin du premier acte, une belle méditation à une Maréchale à la croisée des chemins. Pressentant cette maturité de l’âme où s’éteignent les désirs, elle se recouche, drapée des fins éclairages de Franck Evin, laissant son jeune amant bondir vers la vie nouvelle. Au dernier acte, la Maréchale redistribuera à chacun rôles et places avec une délicatesse toute mozartienne.
© Magali Dougados
Le plateau est la hauteur du chef-d’œuvre straussien. En premier lieu, la multitude des petits rôles, barytons et ténors bulgares, russes, ukrainiens, d’où émergent des voix remarquables ; le Commissaire de Stanislas Vorobyov ou la piquante Annina d’Ezgi Kutlu. Également bien accueilli, le Ochs de Matthew Rose occupe l’espace avec sa faconde d’aristocrate déchu à qui tout paraît permis. L’action le voit volontairement être blessé par l’un de ses sbires pour mieux accabler Octavian. Dommage que les basses très basses du final du deuxième acte (mit mir keine Nacht dir zu lang) lui manquent un peu …
© Magali Dougados
Le ténor italien d’Omar Mancini, vêtu comme un chanteur d’opéra seria, (plumes, jupette et masque de céruse), tient fort bien sa très courte, mais si belle partie. Le trio de tête révèle les aigus diaphanes de la provençale Mélissa Petit. Sa Sophie, scéniquement très travaillée, offre au personnage une complexité qui, d’habitude, échappe. On est comblé quant aux qualités scénique et vocale de Michèle Losier. La mezzo canadienne, timbre chaud, puissant et nerveux, prête une vibrante autorité à l’androgyne Octavian de « 17 ans et deux mois », ainsi que le précise Hofmannsthal. Quant à la Maréchale de Maria Bengtsson, si l’on est ressorti circonspect du premier acte, craignant pour la chair de son médium, elle remporte le troisième acte avec les sublimes accents donnés au Hab’mir’s gelobt du trio.
Jonathan Nott © Guillaume Megevand
Le mérite en revient également à la fosse d’orchestre. Dès les premiers accords, on sent Jonathan Nott tailler un Strauss au bel équilibre, cordes brillantes et jamais sirupeuses, dynamisme des bois, et l’ impétuosité délicate que réclame cette sublime « conversation chantée ».
Beau cadeau de Noël, vraiment, que ce Rosenkavalier si Mitteleuropa.
Vincent Borel
Strauss : Le Chevalier à la rose – Genève, Grand Théâtre, 13 décembre ; prochaines représentations les 15, 17, 19, 21, 23 & 26 décembre 2023 (19h) // www.gtg.ch/saison-23-24/le-chevalier-a-la-rose/
Photo © Magali Dougados
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