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Le Cercle de craie de Zemlinsky à l’Opéra de Lyon –Une première française réussie – compte-rendu

Le Cercle de craie (1932), septième et dernier opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942) – il laissera inachevé Le Roi Candaule d’après André Gide – sera frappé d’ostracisme avec l’arrivée des nazis au pouvoir et finalement créé à l’Opéra de Zurich en octobre 1933. Adaptée d’une pièce de l’écrivain allemand Klabund (1890-1928), très en vogue au début du XXe siècle, cette partition en trois actes et sept tableaux inspirée d’un texte médiéval chinois n’avait jamais été présentée sur une scène française.

© Jean-Louis Fernandez
 
L’orchestration évoque parfois le Mahler du Knaben Wunderhorn mais se réfère aussi au jazz et aux couleurs instrumentales de l’Extrême-Orient. En outre, l’œuvre intègre des dialogues parlés et chantés rapprochant l’opéra du théâtre comme l’avait fait Kurt Weill pour Mahagonny. Le livret élaboré par Zemlinsky introduit une dimension sociale au-delà de la parabole du cercle de craie et l’opposition entre riches et pauvres, l’arbitraire d’un pouvoir imposant une loi injuste traduisent une humanité propre à Zemlinsky. L’héroïne, la jeune Haitang, passera de la condition de prostituée à celle de seconde femme d’un mandarin, puis deviendra impératrice, sauvée de la condamnation à mort par le jugement du cercle de craie mis en place par le nouvel empereur.
 
 La réalisation de Richard Brunel occupe habilement le plateau et permet de visionner simultanément plusieurs scènes ; le décor d’Anouk Dell’Aiera alterne cloisons, rideaux, vitrages avec utilisation de la vidéo (signée Fabienne Gras), ce qui permet de projeter sur écran certaines phases de l’action et facilite la compréhension d’une histoire assez complexe. Le réalisme (le bordel, la maison du riche mandarin, la cohabitation entre la Première épouse vénale et perverse avec Haitang, l’empoisonnement du mari, le procès où l’on assiste à une exécution par injection) contraste avec l’onirisme de certains tableaux (la présence fantasmagorique d’un cheval chevauché par le fils de Haitang dans la neige).

© Jean-Louis Fernandez
 
Le chant est bien servi avec, dans le rôle de Tschang-Haitang, la soprano Ilse Eerens, excellente actrice qui donne de la chair à son personnage bafoué et engendre des instants d’intense émotion. Digne de la marâtre des Contes, Nicola Beller Carbone en Yü-Pei, Première épouse du mandarin, glace par son cynisme, en particulier lors de l’empoisonnement de Ma, son mari, solidement campé par Martin Winkler. Comme sorti d’un roman de Dostoïevski, le révolté Tschang-Ling (le frère de Haitang) trouve en Lauri Vasar un interprète à la fois écorché et brutal. Tschao, le tenancier de la maison de thé incarné par Zachary Altman, se montre sans foi ni loi, tandis que Paul Kaufmann (Tong), l’amant de la Première épouse, reste plus réservé.
Le ténor Stephan Rügamer possède un timbre mozartien mais manque d’ampleur pour évoquer le Prince Pao, le nouvel empereur. Quant au comédien Stefan Kurt en Tschu-Tschu (rôle uniquement parlé de juge prévaricateur), il suscite par son agitation et sa démesure burlesque un moment surréaliste.
Doris Lamprecht faire preuve d’expérience en Mrs Tschang, mère indigne de Haitang, tandis que Hedwig Fassbender offre une convaincante Sage-Femme. Une mention pour les deux coolies suggestifs de Luke Sinclair et Alexandre Pradier et pour le Soldat de Matthew Buswell, tous trois artistes du Studio de l’Opéra de Lyon.

A la tête de l’orchestre maison, l’Allemand Lothar Koenigs, fin connaisseur de Zemlinsky, sait déployer tout un arsenal de couleurs et donner du rythme aux différentes séquences jusqu’à la luxuriante et ambigüe scène finale où le jeune empereur promet d’épouser Haitang et de reconnaître l’enfant dont il est peut-être le père.
Cette première française du Cercle de craie rend bien compte de l’univers très personnel de Zemlinsky dans un spectacle marquant à mettre à nouveau au crédit de l’Opéra de Lyon.
 
Michel Le Naour

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Zemlinsky : Le Cercle de craie - Lyon, Opéra, 26 février ; dernières représentations les 30 janvier et 1er février 2018 / billetterie.opera-lyon.com/selection/event/date?productId=101221360087&lang=fr

Photo © Jean-Louis Fernandez

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