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Le Barbier de Séville à l’Opéra de Saint-Etienne - Le diable au corps - Compte-rendu

Une vraie bomba latina, que ce Barbiere di qualita, produit par l’Opéra de Genève, où il fit un malheur, et que le transfert vers Saint-Etienne a encore amélioré, aux dires de ceux qui, chanceux, ont pu comparer les deux. Joyeusement cruel, irrésistiblement populiste et enlevé à un rythme d’enfer par une équipe survoltée.

Le choc est là, d’emblée : on ouvre un œil rond devant le prodigieux décor conçu par Paolo Fantin, qui situe entièrement l’action dans un immeuble aux multiples cases, ouvertes lorsqu’il nous plonge dans l’intérieur des chambres, ou en façade sur une rue miteuse lorsqu’il le fait pivoter, ce qui lui permet une action mobile en hauteur plutôt qu’en coulisses, les interprètes grimpant d’incessants escaliers. Couleurs claquantes, mauvais goût appuyé de costumes à la Deschiens pour camper une Séville pauvre et chaleureuse, resserrée dans sa ruelle, où le chœur s’agite dans un bistrot bien local. Totalement maîtrisé par le metteur en scène Damiano Michieletto, le divertissement plus chargé de sens qu’il n’y paraît en sa folie de roulades, se mue alors en tableau de genre.

Bref, on est secoué autant qu’ahuri par l’ardeur que mettent les chanteurs à se courir les uns derrière les autres comme des Marx Brothers, entre des temps de nostalgie, voire de profonde tristesse chez Rosine, qui font glisser vers des sphères où la bouffonnerie n’a plus sa place, tandis que la polyvalence de la mise en scène permet de suivre en même temps plusieurs scènes de vie totalement étrangères, comme James Stewart dans le Fenêtre sur cour de Hitchcock.

Mais à tout seigneur tout honneur: d’Alberto Zedda, spécialiste hors concours de Rossini et notamment du Barbier (dont il signa la première édition critique en 1969), on peut dire qu’à 85 printemps, il a allumé avec une folle intelligence et une frénésie subtilement contrôlée un Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire sous le charme, et dont le désir d’aller de l’avant laisse augurer des lendemains brillants - notamment lorsqu’il s’attaquera bientôt à la redoutable 5e de Chostakovitch (1). Une avancée irrésistible à saluer en regard de tant d’institutions frigorifiées par la sécurité, et que le public a applaudie vigoureusement.

Quant au plateau, il brille de noms à découvrir, à redécouvrir et à coup sûr à retenir, de la ravissante et fraîche Rosina de Gaëlle Arquez, au mezzo d’une très riche couleur, au vigoureux, quoiqu’encore un peu brut, Figaro de Florian Sempey, 24 ans, et à la présence charismatique de Giulio Mastrototaro, dans le rôle ingrat de Bartolo, qu’il enlève avec finesse. Reste l’Almaviva de Philippe Talbot, auquel son mélange de sang franco-malgache donne un faux air sud-américain: il est éblouissant, au point qu’un autre grand interprète, le plus connu du plateau d’ailleurs, Wojtek Smilek, élégant et impressionnant Don Basilio, n’hésite pas à le comparer à un certain Juan Diego Florez ! L’admiration de ses pairs, quoi de mieux. Sans doute est-ce l’un des effets de cette ébouriffante et jubilatoire production, où tout s’emboîte comme en une horloge.

Jacqueline Thuilleux

(1) Concert Chostakovitch, le 7 février 2013, direction Laurent Campellone

Rossini : Le Barbier de Séville – Opéra Théâtre de Saint-Etienne, 30 janvier 2013

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Photo : Cyril Cauvet
 

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