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Le Ballet d’Europe à Marseille - A tout cœur - Compte-rendu

L’émotion, la qualité technique, la passion dans la rigueur, un programme opulent, tout cela pour une soirée unique, car hélas, le Ballet d’Europe ne se posait qu’une fois sur la scène de l’Opéra de Marseille pour un spectacle baptisé Complicités. Dommage, car cette petite et vaillante compagnie ouvre sur le monde de la danse une fenêtre riche d’aperçus et de devenirs : depuis 2003, date à laquelle il créait son groupe de 12 danseurs, Jean-Charles Gil s’est engagé dans l’assurance d’un avenir pour ces quelques jeunes gens rompus à l’art difficile du ballet et qui trouvent si peu d’occasions de s’exprimer et de pérenniser leur art. Venus du monde entier, engagés de 20 à 34 ans, titulaires d’un CDI après deux années dans la compagnie, ils tournent dans divers festivals nationaux et internationaux, s’adaptant à des demandes variées mais gardant l’exigence d’une substance néo-classique saine.

De Jean-Charles Gil, on retient d’abord le chemin fulgurant d’un danseur magnifique, révélé chez Roland Petit, acclamé aux Etats-Unis, ou Barychnikov l’invita, tout comme Noureev pour l’Opéra de Paris où il dansa son Roméo et Juliette, et Béjart qui en fit son mythique Oiseau de feu en 1989. Doux et volontaire, il n’a ensuite jamais dételé et son groupe se trouve aujourd’hui soudé autour de ses chorégraphies et de son tempérament généreux.

Fils du classique, Jean-Charles Gil, qui crée avec passion depuis vingt ans, ne l’a pas abandonné mais il l’assouplit et le modèle, gardant ou élaguant le chausson à pointes, puisant aux plus belles musiques du passé, osant aussi la musique contemporaine. Aujourd’hui basé près de Marseille dans la petite ville d’Allauch, qui a mis à sa disposition des locaux, son groupe doit ses moyens d’existence au Conseil des Bouches du Rhône, à la Région et à la DRAC. Mais pour cette soirée exceptionnelle où plusieurs années de travail portaient enfin leurs fruits, il a fallu obtenir le soutien de sponsors, et notamment de Vivendi pour la création de Complicités, sa nouvelle pièce, sur des musiques du minimaliste Ludovico Einaudi et dans la scénographie d’André Stern. Point d’orgue de la soirée, cette œuvre toute en émotion déployait les milles figures du couple, du duo, de l’alliance des corps, avec une fluidité et une souplesse qui sont la marque du chorégraphe. Une forêt de lianes que ces sentiments explorés souvent en demi-teintes, sans histoire sinon celle de la rencontre et de la fusion des âmes. Les danseurs, rompus au style de Gil, s’y coulent avec une énergie qui n’empêche pas le lyrisme, autour des personnalités contrastées de Marie Shimada et de Natacha Franck.

Pour le reste du programme, on a pu retrouver une des pièces majeures du grand chorégraphe méditerranéen Joseph Lazzini, mort cette année, et à qui l’on doit la création du Ballet de Marseille : une gloire négligée, dont peu de compagnies affichent les œuvres, mais dont Gil a repris le beau Cantadagio, sur le torride final de la 3ème Symphonie de Mahler, duo fait en 1972 pour l’Opéra de Paris, où Claude Bessy et Georges Piletta le créèrent. L’on y trouve la marque d’un lyrisme sensuel dont Jean-Charles Gil est le continuateur, alors que le style offensif et très cadré d’un Roland Petit aurait pu laisser sa griffe puissante sur lui, ce qui n’est pas le cas : lyrisme qu’on a ensuite particulièrement ressenti dans Schubert in Love, chorégraphié par Gil en 2004, et lui aussi porté par cette quête du couple et du corps en fusion qui semble être sa préoccupation marquante. Un climat émotionnel où l’on se noie doucement.

Par contraste, l’adorable Folavi, pétillant d’une inaltérable foi en la vie et la Méditerranée : un bondissement joyeux, incessant, sur le perpetuum mobile de la musique de Vivaldi. Dont on regrette simplement qu’il ait été donné après le Cantadagio de Lazzini, lequel ouvrait la soirée sur un paroxysme émotionnel peu adapté à l’installation et à l’acclimatation des spectateurs- surtout dans les sièges bidets de l’Opéra de Marseille- Cette pièce jubilatoire, qui n’incite pas à la réflexion, est parfaite pour ouvrir une soirée. Détail qui n’a heureusement pas freiné l’enthousiasme des spectateurs. En contemplant l’accueil frénétique fait au spectacle et à la petite compagnie, on se reprend à espérer, malgré la difficulté qu’ont les danseurs néoclassiques à trouver leur chemin dans le désert culturel qui leur semble promis. Le public, lui, semble les réclamer. Exemple de courage, le Ballet d’Europe va continuer de tourner, et sera notamment l’invité du Grand Théâtre de Provence  pour un projet intitulé H20-Mémoires de l’Eau, auparavant créé à Marseille. On ne peut l’ignorer.

Jacqueline Thuilleux

Complicités - Marseille, Opéra, 9 novembre 2012

Création de H20 –Mémoires de l’Eau le 8 février 2013 au Silo de Marseille, reprise au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, le 6 mars 2013
Site du Ballet de l’Europe : www.balletdeurope.org

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Photo : Didier Philispart
 

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