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La Traviata à l’Opéra de Saint-Etienne - Verdi retrouvé - Compte-rendu

Le monde lyrique souffre chroniquement d’une incompréhension de la pulsion verdienne, si particulière, tandis que Mozart et Wagner se portent bien. Pour Verdi, beaucoup plus qu’une affaire de voix, c’est une affaire de chefs. Trop violents, trop analytiques pour la plupart. Et voici qu’une pépite ranime l’espoir depuis Saint-Etienne, en passe de devenir une petite montagne sacrée du lyrique, avec peu d’argent et beaucoup d’idées : les 35 ans de Laurent Campellone, ses ascendances italiennes, sa finesse intuitive, son sens de l’équilibre, de la respiration autant que des ruptures, ont fait retrouver sa vérité à La Traviata, si fameuse et pourtant si souvent « dévoyée ». Malade, le jeune chef a dépassé toute fatigue pour obtenir le meilleur de l’Orchestre Symphonique de Saint-Etienne-Loire, et développé une complicité et une réactivité exceptionnelle avec les chanteurs.

La production, déjà vue en janvier et février derniers à Monaco puisque réalisée avec l’Opéra de Monte Carlo, et mise en scène par Jean-Louis Grinda, son directeur, change cette fois de distribution. Celle rassemblée ici tire des larmes. En premier, pour l’identification totale au personnage de Joyce El-Khoury, brûlante Violetta venue du Canada, même si le style et la technique vocale suscitent des réserves, par exemple dans l’usage excessif des sons filés, des transitions voilées, outre le gommage des consonnes et une prononciation italienne hypothétique : mais la beauté du timbre, l’expressivité de la voix, évoquant à un moindre degré celle d’Angela Gheorghiu, et surtout le charme et la justesse de l’incarnation font passer les défauts au second plan. Un tour de force dramatique qui amène à repenser le rôle : réputé affreusement difficile, pour ses trois volets sollicitant la voix de façon opposée, il permet cependant quelques défaillances grâce à la richesse du personnage, là où une Leonora du Trouvère, essentiellement musicale, ne souffre aucune faille.

Les partenaires masculins de cette belle Violetta étaient diversement à sa hauteur : valeur montante du chant français, Stanislas de Barbeyrac n’accuse pas de faiblesse. Son Alfredo est clair, aisé, juste et sans faute de goût, ce qui n’est pas le cas de son père, incarné par le palermitain Vincenzo Taormina. Brutal et rêche, celui-ci répond assurément au profil tracé par Jean-Louis Grinda, mais de ce fait gomme les émotions fluctuantes du complexe personnage. Autour d’eux, de belles personnalités de dégagent, à commencer par Marie Karall, séduisante Flora et Patricia Schnell, touchante et vraie en Annina.

Pour académique qu’elle paraisse, la mise en scène offre aussi d’intelligentes surprises, avec des pointes de vulgarité appuyée pour pimenter les décors et aux costumes d’époque : ainsi lorsque Violetta relève violemment ses jupes pour chanter le fameux « jouir ». Sur l’ouverture, un prologue n’est pas sans rappeler celui imaginé par John Neumeier dans son ballet La Dame aux Camélias, lequel commence par la mise aux enchères des biens de Marie Duplessis. Autre superbe idée, au lieu du fade intermède chorégraphique généralement subi, la mise en situation d’une ballerine, l’exquise Eugénie Andrin, arrivant dans ses délicats atours et ses jolies poses, puis peu à peu salie, traînée, violentée par ses partenaires costumés en matadors. Rappel d’un temps où les danseuses étaient considérées comme des prostituées, et ajout précieux à la condamnation faite par Verdi d’une société impitoyable pour les femmes libres.

Avec cette Traviata qui en dit long, même si le metteur en scène a choisi de la garder dans son jus d’époque, dont elle est si représentative, on tient un bijou, ciselé par un Laurent Campellone, décidément très prometteuse baguette française, comme l’a montré son récent triomphe au Bolchoï, où il a métamorphosé un orchestre réputé fruste. On attend avec impatience que des formations internationales lui permettent de faire savoir sa vraie mesure.

Jacqueline Thuilleux

Verdi, La Traviata - Saint-Etienne, Opéra-Théâtre, 13 mars, dernière représentation le 19 mars 2013. www.operatheatredesaintetienne.fr

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Photo : DR
 

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