« Dieu que c’est beau ! », s’exclama Igor Stravinski en découvrant la partition pour grand orchestre que Florent Schmitt (1870-1958) avait tirée de sa Tragédie de Salomé (réalisée en 1910, cette version fut créée le 8 janvier 1911). C’est sous cette forme, foisonnante, rutilante, que ce titre du compositeur français est parvenu jusqu’à nous, faisant oublier la version originale.
Il y avait de la Salomé dans l’air en ce début de XXe siècle ... Peu après la première française de l’opéra de Richard Strauss, le 8 mai 1907 au Châtelet, Schmitt – très remarqué fin 1906 lors de la création de son tellurique Psaume XLVII – fut sollicité par Robert d’Humières, directeur du Théâtre des Arts, pour une Tragédie de Salomé, mimodrame dansé destiné à la célèbre Loïe Fuller.
 

Florent Schmitt vers 1900

Le jeune compositeur s’exécuta – deux mois lui suffirent pour boucler la commande – et, le 9 novembre 1907, fut créé un ouvrage bien différent de la réorchestration de 1910 (qui ne reprendra d’ailleurs qu’une partie du matériau originel). Un chef promis à un bel avenir était au pupitre : Désiré-Emile Ingelbrecht.
Cette première Tragédie de Salomé se divise en sept tableaux et dure pratiquement une heure. La petite fosse du théâtre des Arts imposait un ensemble instrumental réduit : si le résultat paraît forcément moins spectaculaire qu’avec la mouture pour grand orchestre, le résultat s'avère pourtant totalement envoûtant par la science des timbres, la puissance suggestive et l’intelligence dramatique de Schmitt.
 

Fabien Touchard © fabientouchard.fr
 
Grâce à la curiosité de Julien Masmondet (photo) et de ses Apaches, la Tragédie de Salomé version 1907 est de retour. Cela aurait dû être le cas dès mai 2020 à l’Athénée mais le contexte sanitaire en décida autrement, repoussant la mise en œuvre d’un projet que l’on va enfin pouvoir découvrir.
J. Masmondet a travaillé avec Cyril Teste pour l’élaboration d’un spectacle qui ne fera pas appel à une danseuse sur scène. Elle sera toutefois bien présente par le biais d’une création vidéo (chorégraphiée et interprétée par Léonore Zurflüh), tandis qu’une pièce commandée à Fabien Touchard tiendra lieu de prélude à la soirée.
La Tragédie de Salomé ressuscitée par les Apaches sera créée à Rungis le 26 novembre, puis reprise à Rochefort (30 nov.), Avignon (3 déc.), avant de tenir l'affiche pour trois soirées à Paris (Théâtre de l’Athénée, 9, 10 et 11 déc.). Un événement pour tout les amoureux de répertoire français. Puisse un enregistrement s'ensuivre, aucun  n’existant pour le moment avec l'effectif exact de 1907. (1)

Signalons enfin que Les Apaches et leur chef se produiront à l'auditorium du musée d'Orsay, le 16 décembre, pour un concert d'hommage à Loïe Fuller. A programme : un extrait de la Tragédie de Salomé bien sûr, mais aussi des Préludes de Debussy orchestrés par Bruno Gousset et des pages de Fabien Touchard (dont Loïe, en création mondiale) et Manuel de Falla.

 
Alain Cochard