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La Flûte enchantée au TCE - Un voyage en demi-teinte - Compte-rendu
Suite à la défection de Laurent Pelly, c’est La Flûte enchantée mise en scène par William Kentridge que l’on a pu découvrir sur la scène du TCE ; une reprise d’un spectacle créé au Théâtre Royal de la Monnaie en 2005 et représenté depuis à Naples, Lille, Caen, Rouen et Aix-en-Provence. L’aventure spirituelle et féerique à laquelle Mozart et Schikaneder nous convient est transposée à la fin du XIXème siècle, au temps de la colonisation (une période que Kendrige, Africain du Sud opposé à l’apartheid, ressent dans sa propre chair). Le décor très stylisé est enrichi par de nombreuses projections vidéo rappelant la chambre noire, ventre d’un appareil photographique, passage de la lumière et l’obscurité, de la noirceur de la tyrannie au monde idéal des Lumières.
Dans cet univers manichéen où les couleurs sombres prédominent, les notions de perspective, la prise en compte de considérations optiques, inspirent une scénographie inventive où la combinaison des éléments crée un espace ouvert pour les personnages libérés des contraintes d’une machinerie trop prégnante. Défilent des références aux planches de L’Encyclopédie, au rhinocéros de Dürer, au cinéma muet, aux événements de l’Afrique coloniale, à la symbolique maçonnique (le tableau noir signifiant l’initiation des apprentis). On est pourtant plus convaincu par le travail d’illustration que par la réalisation scénique pure seulement éclairée par des costumes d’époque de Greta Goiris.
Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus ne succombent pas à la tentation de bousculer la tradition. La qualité des musiciens, leur homogénéité, la justesse de leurs interventions est incontestablement un atout dont le chef sait user avec pertinence. On constatera une certaine retenue (en particulier dans l’Ouverture), une difficulté à animer les péripéties du premier acte, mais le discours s’améliore au fur et à mesure et atteint même une réelle poésie. Nonobstant quelques coquetteries (des ornementations, des transitions au pianoforte assez décalées), le caractère narratif de l’œuvre est rendu de façon très explicite.
La distribution est dominée par la Pamina de Sandrine Piau dont la simplicité naturelle, la grâce, le chant incarné et lumineux emportent l’adhésion. A ses côtés, le Tamino de Topi Lehtipuu ne démérite pas mais éprouve quelques difficultés à se hisser au même niveau. Sa musicalité n’est pas en cause mais, théâtralement, il reste en deçà de ce que l’on attend d’un Prince confronté aux souffrances des épreuves qui l’attendent. Plus proche d’un explorateur que d’un oiseleur, le baryton Markus Werba réussit à rendre crédible le personnage de Papageno par ses qualités de comédien et une voix stable dans tous les registres en dépit d’un timbre peu chaleureux. La soprano Emmanuelle De Negri, comédienne née, est particulièrement convaincante en Papagena et ses rares interventions témoignent d’une belle pureté.
En revanche, la Reine de la Nuit de Jeanette Vecchione n’a pas la dimension requise de femme à la fois meurtrie et vengeresse. Sa voix fine, sans grande projection, parvient à vaincre les vocalises suraiguës (dont certaines sont rajoutées), sans l’éclat que le décor étoilé impose. Le chant plein et dense d’Ain Anger fait autorité en Sarastro, tandis que le méchant Monostatos est bien défendu par le ténor Steven Cole, souple comme une liane et habitué depuis de nombreuses années à ce rôle. Mention spéciale pour les trois suggestives Dames (Claire Debono, Juliette Mars et Elodie Méchain) et les prêtres solennels (Renaud Delaigue, Alexander Swan). Somme toute, un spectacle très bien accueilli par le public et qui, malgré ses imperfections, répond à sa vocation première de susciter l’émerveillement.
Michel Le Naour
Mozart : La Flûte enchantée - Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 20 décembre 2011
Photo : E. Carecchio
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