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La Chronique d'Emilie Munera - Saxomania

Si vous suivez de près, comme moi, l’actualité musicale, vous avez peut-être été surpris de voir fleurir, depuis quelques années, des quatuors de saxophones et des saxophonistes “classiques” un peu partout en Europe.

Je dis bien surpris oui, car si cet instrument a toujours fait partie du paysage classique (et est associé à des personnalités importantes comme Claude Delangle), on ne peut pas dire que son histoire avec notre répertoire ait été facile. Créé par le très inventif facteur belge Adolphe Sax (1814-1894), le saxophone, bois au corps de cuivre, a été victime de différentes cabales … Apprécié par certains compositeurs - Berlioz en tête qui s’enthousiasme immédiatement pour un vent “plein, moelleux, vibrant et d’une force énorme” - il est rapidement boudé par les musiciens qui reprochent à son timbre de ne pas se marier avec le reste des instruments d’orchestre. Il semble même encombrer certains compositeurs, tel Debussy. Lorsqu’une riche américaine, Elise Hall, le sollicite pour une commande, il trouve bien difficile d’écrire pour cet “animal à anche simple dont [il] connaît mal les habitudes”. La commanditaire ne l’inspire pas plus que l’instrument : “Ca ne te paraît pas indécent, une femme amoureuse d’un saxophone don les lèvres sucent le bec en bois de ce ridicule instrument ?, écrit-il en 1903. Ce doit être une vieille taupe qui s’habille comme un parapluie”. Et que Bizet, Strauss, Glazounov, Chostakovitch, Ibert ou Ravel lui offrent de beaux solos n’y change rien…

Le Quatuor Ellipsos © quatuor ellipsos

Résultat, notre pauvre saxophone ira chercher ses lettres de noblesse ailleurs, dans le jazz… Charlie Parker, John Coltrane, Stan Getz lui offrent enfin la place qu’il mérite. Conquérant, il s’offre même un nouveau titre dans les années 80 : roi de la pop. Vous avez forcément dans l’oreille le solo irrésistiblement kitch du Careless Whisper de Georges Michael… vous vous êtes sûrement déjà déplacé quelques vertèbres sur le riff sous amphétamine de One Step Beyond de Madness. Avec sa voix chaude grave et chaude, le saxophone devient alors symbole de sensualité. Vous retrouvez-vous dans cette vision quelque peu réductrice de l’instrument ? Le sax de velours qu’on écoute à deux lové au coin du feu… très peu pour moi.

L’instrument a plus à donner. Et c’est sûrement ce que les jeunes musiciens ont aujourd’hui envie de montrer. Au fil des ans, un grand nombre de quatuors de saxophones a donc vu le jour  : Morphing, Ellipsos, Zahir en France ; Kebyart en Espagne; Ferio en Grande Bretagne. Ils s’approprient le répertoire via la transcription, ressuscitent des trésors oubliés (qui, hormis les mordus de l’instrument, connaissait la musique de Fernande Decruck (1896-1954) avant qu’elle ne soit jouée par le quatuor Ellipsos ?) (1), et favorisent la création… John Adams, Bruno Mantovani, James MacMillan, Olga Neuwirth ont tous écrit pour lui.

Vous avez peut-être découvert comme moi tout ce dont cet instrument est capable : passer du chant le plus doux au cri le plus déchirant. Parler, haleter, hurler, murmurer, consoler, il a une puissance de frappe sans limite. La nouvelle génération d’instrumentistes l’a compris, elle est impressionnante : il fallait voir Sandro Compagnon et Eude Bernstein se livrer sur scène à une joute endiablée et jubilatoire autour du Boeuf sur le toit de Darius Milhaud lors d’une soirée à la Scala Paris en juin dernier – amis bretons, courrez les écouter le 12 septembre prochain à Carnac, au Festival Terraqué ! (2). Et n’en déplaise à Claude-Achille, même les femmes s’y mettent, à l’instar de la jeune britannique Jess Gillam : grosses lunettes (mais pas vieille taupe !), tenue flashy et baskets blanches, elle a mis le feu au public du Royal Albert Hall lors d’un passage aux BBC Proms grâce à une performance jubilatoire. 

La saison sera riche en créations et en résurrections ! Il y en aura pour tout le monde, du plus classique au plus moderne – ne ratez pas le célèbre Concerto pour quatuor de saxophones de Philip Glass qui sera repris par les Ellipsos le 26 novembre à Metz sous la baguette de David Reiland (3). Faites comme moi, cherchez bien, il y a forcément des saxophones près de chez vous.

Émilie Munera 

(6/09/2022)

(1)         Compositrice enregistrée par ce même Quatuor Ellipsos pour #NoMadMusic ( « Saxophonie » / NMM088)

(2)        festivalterraque.com/programme/un-boeuf-dans-les-doigts/

(3)        www.citemusicale-metz.fr/agenda/concerto-pour-quatuor-de-saxophones-de-philip-glass

 

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