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La chronique d'Emilie Munera - Les nouveaux pianistes « YouTube »

Comment construire une saison de concerts à l’ère d’internet et des réseaux sociaux ? Alors que l’on nous apprend que les nouvelles générations seraient incapables de maintenir leur attention durant plus de 9 secondes, comment les faire accéder à un univers musical où la durée d’une œuvre peut atteindre l’heure ? Tous les programmateurs s’interrogent ; d’autant plus que depuis des années, on nous annonce la mort programmée de la musique classique.

Et si au contraire, le monde de la musique classique se portait mieux qu’on ne le dit ? Il y a deux ans, une étude révélait que les 18-25 ans représentaient un tiers des auditeurs de musique classique en ligne. Une information réjouissante à prendre pourtant avec précaution : car ces nouveaux aficionados n'écoutent pas les ballades de Chopin ou les symphonies de Beethoven, mais de courts morceaux de piano, joués par des musiciens qui ne sont pas associés au milieu classique traditionnelle (Ludovico Einaudi ou Sofiane Pamart en tête) mais figurent pourtant dans les playlists classiques concoctées par les grands sites de streaming.
 

Aurélien Froissart © Thibault Abraham

Le piano est d’ailleurs devenu le nouvel instrument en vogue. Et c’est ainsi qu’une génération d'instrumentistes faisant des millions de vues sur internet a émergé. Ma connaissance des “pianistes YouTube” se limitait à Valentina Lisitsa… En 2007, peinant à faire décoller sa carrière, elle s’est mise à poster des vidéos sur internet. Du jour au lendemain, la musicienne (dont les professionnels du milieu n'avaient quasiment pas entendu parler), se retrouvait suivie par des millions  de followers. Aujourd’hui, ses vidéos ont cumulé plus de 200 millions de vues. Valentina Lisitsa a-t-elle fait une carrière exceptionnelle depuis ? Certainement pas aussi brillante que ses succès numériques – et depuis que, jouant dans une Marioupol dévastée, elle a affiché son soutien à Vladimir Poutine sa carrière semble au point mort.

Dans l’esprit du microcosme de la musique classique, “les pianistes Youtube” sont considérés comme des musiciens de second rang. Et pourtant, une partie de la nouvelle génération maîtrisant l’art des réseaux sociaux, est loin d’avoir un profil amateur et ne semble pas vouloir transiger sur la qualité musicale. Prenons le cas d’Aurélien Froissart : ce musicien qui a commencé le piano à l’âge de 12 ans intègre le Conservatoire de Paris trois ans plus tard après y avoir été admis dans la classe de Michel Béroff, puis de Florent Boffard et Anne-Lise Gastaldi. Il y obtient son Diplôme mention Très Bien à l’unanimité du jury, présidé par Christian Ivaldi. Il s'est depuis lancé sur TikTok (1), publiant de nombreuses vidéos éducatives, touchant un public âgé de 15 à 25 ans. Dans ces courtes vidéos, il prodigue des conseils d’interprétations aux pianistes (comment émouvoir avec un nocturne de Chopin, comment alléger sa main gauche dans la Marche turque de Mozart) et se filme dans les gares, jouant des pages virtuoses sous le regard médusé des voyageurs. Certains de ses posts ont été vus plus de 3 millions de fois.
 

Hayato Sumino © far-prod.com

Autre pianiste à « cartonner » sur les réseaux, Hayato Sumino. Ce musicien japonais né en 1995 est passé par l'IRCAM et a bénéficié des conseils de Jean-Marc Luisada C’est d'ailleurs ce dernier qui l’a poussé à se présenter au concours Chopin de Varsovie 2021 où il a atteint la demi-finale. Hayato Sumino est capable de jouer le grand répertoire mais il aime aussi improviser sur des thèmes de jazz, de pop ou de jeux vidéos. Sur Youtube (il publie sous le pseudonyme de Cateen) (2) sa vidéo de variations autour du thème “Ah ! vous dirai-je maman” a cumulé 9 millions de vues. Partant du thème utilisé par Mozart, il propose des variations présentant 7 niveaux de difficulté : un déchaînement virtuose et jouissif qui n’est pas sans rappeler Yuja Wang revisitant la Marche turque de Mozart.

Ces “stars” des réseaux sociaux amènent-elles le public à élargir ensuite sa connaissance de la musique classique ? J'en suis persuadée. Il faut aujourd’hui prendre conscience que la nouvelle génération de mélomanes n’a plus les mêmes modes de consommation culturels que nous. Si parmi les millions de spectateurs de ces vidéos, quelques-uns sont amenés à aller plus loin et à pousser les portes des salles de concerts, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Emilie Munera

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(1)   www.tiktok.com/@aurelien.froissart

(2)   www.youtube.com/user/chopin8810

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