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La Chronique de Jacques Doucelin - La province est morte, vive les régions !
Sans doute, avez-vous entendu certaines Cassandre optimistes oser se réjouir de la crise en prétendant qu'elle allait « ramener le peuple vers la culture »... des pommes de terre et des carottes, peut-être. Mais vu le prix des places dans les salles parisiennes, il faudra bientôt faire partie du CAC 40 pour se les payer. C'est du reste un problème des plus sérieux qui se pose aux responsables nationaux de la culture. Démocratiser, tout le monde est pour. Encore faut-il s'en donner les moyens. Ce n'est d'ailleurs pas un rêve inaccessible quand on observe avec un minimum d'attention la politique de Mme Albanel, ministre de la culture, à l'endroit des musées nationaux. Je pense, d'une part, à l'extension de l'accès gratuit aux expositions et, d'autre part, à l'ouverture récente et en dernière minute de l'exposition Picasso en dehors des heures de travail. Bravo !
Voilà qui est excellent parce que cela bouleverse les habitudes des uns et des autres (à l'intérieur comme à l'extérieur des musées, après tout au service de ceux qui les financent avec leurs impôts...). Si l'on se réjouit pour Picasso, on se dit tout de même : « et la musique alors ? » L'Opéra de Paris reste à un niveau d'excellence qui vaut des sacrifices et il pratique par ailleurs dans des répertoires difficiles, notamment d'aujourd'hui, une politique de tarifs drastiquement réduits dont il faut le féliciter. Son petit frère, l'Opéra Comique, tout récemment remis dans le circuit de la production lyrique nationale par une augmentation substantielle de la subvention du ministère de la culture, propose des prix à peine inférieurs: quand il s'agit de productions de la qualité du Didon et Enée de Purcell, on peut l'admettre. Mais quand on affiche Zampa d'Hérold sans avoir trouvé le ténor idoine, voire Fra Diavalo d'Auber avec une distribution incapable de rendre justice à une musique des plus délicates, ça ne devrait pas être le même tarif.
Nous ne parlerons pas du Châtelet qui dépend de la Ville de Paris, mais n'en a pas moins perdu son identité avec l'excellence qui faisait sa réputation au bénéfice de spectacles improbables où le snobisme le dispute à la ringardise la plus coûteuse. Quant à la Région Ile de France, sa politique culturelle semble aussi bien inspirée que celle des transports en commun et ça n'est pas peu dire... Heureusement, il y a le reste du territoire français, celui que les parigots dénommaient jadis avec mépris la « province »! Et bien qu'on se le dise: la Province est bel et bien morte et les régions se sont affirmées brillamment. En effet, en quelques décennies, leur visage s'est transformé du tout au tout. Je ne sais quelle part occupent dans ce miracle le TGV, la Radio, la Télévision (mais si, mais si...!) la formation des musiciens, des chanteurs et des gestionnaires d'orchestres et d'Opéras, mais le fait est là que les grandes institutions régionales sont en train de tailler des croupières à Paris comme on n'aurait jamais osé l'espérer.
C'est le constat que fait aisément celui qui se rend fréquemment dans les différents centres musicaux de l'Hexagone. Première observation: les principaux orchestres à label national, mais oeuvrant dans les régions, de Toulouse à Lyon, de Bordeaux, à Lille, de Strasbourg à Nancy ont acquis une souplesse, une expérience, une cohésion qui en font de très sérieux challengers pour les phalanges parisiennes. A cela, une raison précise à chaque fois: la présence à leur tête d'un chef dynamique qui s'identifie à son orchestre. Villes et Régions ont à cet égard une politique de recrutement bien supérieure à celle des administrations parisiennes... pour parler poliment. Finalement, il n'y a guère que la deuxième ville de France, Marseille, pour rester en arrière des autres en préférant la danse à la musique : Renée Auphan qui a dirigé l'Opéra de la ville de Pagnol ces dernières années, n'a jamais pu obtenir des édiles le recrutement d'un orchestre digne de ce nom... C'est bien la peine d'avoir un des plus beaux théâtres lyriques de France de style Art Nouveau !
A l'exception donc de la Canebière, la qualité des spectacles que l'on découvre en région frappe d'abord par la qualité professionnelle de ce qu'on y entend et de ce qu'on y voit. Je n'évoquerai en ce début d'année que La Tosca présentée à Bordeaux, le Mozart de Guitry et Reynaldo Hahn à Tours, Le Joueur de Prokofiev à Lyon, Siegfried de Wagner à l'Opéra du Rhin etc... Chaque fois, les forces vives – choeurs et orchestre, ateliers de décors et de costumes – des Opéras sont associées à ces spectacles. Depuis Michel Plasson et toujours avec l'arrivée dans la ville rose de Nicolas Joël prochain patron de l'Opéra de Paris, le Capitole a été un phare lyrique dans l'Hexagone au même titre que l'Opéra Nouveau de Lyon sous Louis Erlo et Jean-Pierre Brossmann. A Strasbourg et à Nancy, on cultive une tradition de création, la capitale alsacienne se faisant, en outre, un devoir de monter une nouvelle Tétralogie de Wagner tous les 25 ans.
Mais tout cela n'est rien au regard de la démocratisation de la culture. Ce qu'il faut savoir, en effet, c'est que les prix pratiqués en région sont de l'ordre du tiers, voire du quart de ceux de Paris sans qu'il y ait la moindre justification artistique. Les collectivités locales (villes, régions, départements) qui subventionnent pour l'essentiel toutes ces institutions font donc beaucoup plus que l'Etat pour la démocratisation culturelle et singulièrement pour le spectacle vivant.
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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