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​Jérémie Rhorer dirige Rigoletto au Festival Berlioz 2022 – Un Verdi historiquement informé – Compte-rendu

Dans la continuité de la Traviata, qui avait connu un accueil triomphal au théâtre des Champs Elysées en novembre 2018, Jérémie Rhorer a choisi Rigoletto pour poursuivre le projet novateur qu’il a entrepris sur Giuseppe Verdi. Le public du festival Berlioz a ainsi pu découvrir le résultat de ce travail historiquement informé, deux jours avant Brême dans le cadre de la 33e Musikfest. Précisons d’emblée que c’est une version de concert de Rigoletto qui a été donnée dans la cour du château Louis XI de La Côte-Saint-André. Un choix certes imposé par le lieu, mais qui s’est révélé être riche d’heureuses surprises.

En plaçant sur la scène les 20 instrumentistes du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz-Isère et les 50 membres du Cercle de l’Harmonie, l’évidence s’impose à l’œil bien sûr, mais surtout aux oreilles. L’orchestre joue un rôle essentiel dans ce drame aux accents shakespeariens. C’est lui qui plante les décors, crée les atmosphères, dresse les portraits des protagonistes, suggère leurs états d’esprit successifs. L’orchestre est un acteur essentiel.
 

© Bruno Moussier

La direction attentive et précise de Jérémie Rhorer en témoigne. Ainsi, il revient au même orchestre d’annoncer le drame qui va se jouer dans le court et impressionnant prélude introductif, de s’esbaudir dans la banda populaire, de s’inquiéter et de souffrir avec Rigoletto, de se jouer des femmes avec le duc, de s’abandonner à un premier amour avec Gilda. Tous ces moments ont été traduits avec justesse et humanité par l’imposante phalange et son chef. L’interprétation sur instruments anciens donne une autre couleur et des timbres plus ronds. Le choix du diapason à 432 Hz (voulu par Verdi lui-même) est sans doute quant à lui peu sensible pour le public. Evidemment ce soin et cette réflexion menée par Jérémie Rhorer sont mis au service des chanteurs pour lesquels Verdi a écrit une partition d’une richesse inouïe. Car Rigoletto est bien plus qu’une « une succession de duos », selon la formule attribuée au compositeur lui-même, bien plus que deux airs fameux (« Caro nome » et « La donne è mobile ») qu’un chœur qui ne l’est pas moins (« Scorrendo uniti remota via ») et qu’un quatuor époustouflant (« Bella figlia dell’amore »). C’est surtout l’avènement d’une nouvelle écriture opératique, où la musique ne s’arrête jamais et qui ne ménage pas les chanteurs. A commencer par les prouesses vocales de Gilda et du duc.

De ce point de vue, le cast réuni par Jérémie Rohrer mérite tous les éloges. Les premiers rôles assurément : Dalibor Jenis (Rigoletto) dont la voix et le jeu traduisent le tourment, la haine et la détresse, Olga Peretyatko (Gilda) qui a une grande maîtrise de ce rôle et réussit pourtant à en garder toute la fraîcheur amoureuse – son ultime soupir vocal est un joyau – et Liparit Avetisyan (duc de Mantoue) qui s’impose naturellement et vocalement en séducteur cynique. A leurs côtés, il convient de citer la prestation de Alexander Tsymbalyuk (Sparafucile), Adriana di Paola (Maddalena) et Nicolas Legoux (Monterone), ainsi que Yu Shao (Matteo Borsa), Dominic Sedgwick (Marullo) et Leon Kosavic (comte Ceprano).
 

© Bruno Moussier

Version de concert ce Rigoletto ? Pas tout à fait. Des éléments de mise en scène de jardin à cour, au bord du plateau et avec le concours de contrebasses suggérant un élément de décor, ajoutent de la fluidité à une partition riche d’action. Des idées bienvenues et heureuses qui valent largement des productions où la mise en scène trahit l’œuvre et déroute le spectateur.
A l’origine, ce Rigoletto ne devait pas être programmé à La Côte-Saint-André. Le Festival Berlioz 2022 devait accueillir le chef russe Valery Gergiev, mais les événements en Ukraine en ont décidé autrement. Le choix de Bruno Messina d’inviter Jérémie Rhorer s’est révélé judicieux et inspiré. Verdi chez Berlioz, rien de plus naturel finalement. Si le compositeur français ne portait pas dans son cœur le bel canto italien, il reconnaissait en Verdi « un galant homme, très fier, très inflexible… aussi éloigné du caractère railleur, bouffonnant, blaguant (assez sottement parfois) de Rossini, que de la souplesse couleuvrine de celui de Meyerbeer » (1). Le public de La Côté-Saint-André a lui aussi salué le génie du compositeur et des interprètes de ce Rigoletto par une ovation qui s’est prolongée pendant de longues minutes.
 
Thierry Geffrotin

 
(1) Lettre à la princesse Sayn-Wittgenstein, 13 décembre 1859.
 
 
Festival Berlioz - La Côte Saint-André, cour du château Louis XI,  26 août 2022
www.festivalberlioz.com/
 
Photo © Bruno Moussier

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