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Impressing the Czar de William Forsythe au Palais Garnier, par le Semperoper Ballett Dresden - Mais allo quoi ? - Compte rendu
On adore ou on exècre. Difficile de s’en tenir au moyen terme avec Impressing the Czar, pièce qualifiée de mythique dans l’œuvre de William Forsythe, le plus européen des chorégraphes américains, créée en 1988 par son Ballet de Francfort. Cette politique de déconstruction du mouvement classique, tout en en gardant la grammaire, et de l’ordonnancement du ballet, tout en gardant la façade, eut son heure de gloire, surtout grâce au punch du chorégraphe qui jouait avec les faux-semblants d’une manière plus que vitaminée.
Mais tout spectacle est un faux semblant, et sa vérité est à chercher dans ses non-dits : casser ostensiblement les codes comme le fit Forsythe est aujourd’hui bien démodé. La création pure, tellement plus ambitieuse et difficile, est plus recherchée, et, il faut l’avouer, rarement trouvée. Impressing the Czar, avec lequel l’Opéra de Paris a un rapport de tendresse certain, présente cependant un double intérêt : d’abord parce que sa partie centrale, très à part, fut l’un des grands triomphes de l’Opéra, en 1987, sous le nom de In the Middle, Somewhat Elevated, où sa création préluda à celle de l’ensemble de la pièce, un an plus tard à Francfort. On y vit nos beaux monstres tels Isabelle Guérin, gérer leur corps désarticulé d’une manière absolument nouvelle, à la limite d’un déséquilibre permanent. Une danse sur la corde, qui fut sans doute le chef d’œuvre de Forsythe. Et la musique de Thom Willems, battant comme un glas obsessionnel, accentuait cette violence nouvelle.
Autre intérêt, ce que révèle le titre, à double sens bien sûr : celui de rappeler le voyage que fit Catherine II en Crimée, sous la conduite frénétiquement attentionnée de son favori Potemkine et où le pays fut maquillé de fond en comble pour lui donner l’illusion de l’opulence et de la beauté. Bref, du vent, de la façade, resté dans l’histoire sous le nom de « villages Potemkine ». C’est ainsi que Forsythe, déguisant ses personnages en princesses et seigneurs classiques – costumes splendides d’ailleurs – les mêle chaotiquement à toutes sortes de personnages farfelus, un ridicule dieu grec, une ridicule speakerine, de ridicules écolières en blanc et noir, coiffées garçonnes, une loufoquerie totale d’une parfaite vulgarité et d’une inefficacité totale, bien que Forsythe ait ses fans irréductibles, qui lui font un triomphe obligé. Le tout dans les braillements, les contorsions et les appels de micro francisés pour la circonstance. Quant à la dernière partie, qui évoque quelque chorus line où de prétendues écolières catholiques, gambettes terminées de chaussettes et de ballerines noires entament une sorte de danse du scalp, elle laisse sur une impression de vide béant.
Dernier attrait malgré tout, celui de la découverte de la troupe de l’Opéra de Dresde, une soixantaine de danseurs abrités par le splendide Semperoper, dont le grand Vladimir Derevianko fut un temps le directeur, après avoir été l’un des interprètes les plus inspirés de John Neumeier. Aujourd’hui c’est le Canadien Aaron Sean Watkin qui la dirige, avec un répertoire suffisamment varié pour mettre en valeur des danseurs dont on peut dire qu’ils sont remarquables, notamment la Coréenne Sangeun Lee, agressive et filiforme telle une grande araignée et le séduisant Istvàn Simon, Cupidon et Puck rêvés. Ce qui permet quelques pas de deux au graphisme mobile spectaculaire, dans ces collants et maillots transparents que Forsythe affectionne. C’est aussi l’occasion de rappeler l’influence de Dresde dans l’histoire de la danse moderne, particulièrement sous l’aile de sa prestigieuse voisine, Hellerau(1), où se pressa au début du XXe siècle tout ce qui comptait de novateur et de briseurs de tabous en matière de danse et de théâtre.
Ce fut salutaire et vivifiant et l’on comprend que Forsythe, dernier pseudopode de cette bourrasque soit aujourd’hui résident à Hellerau, car il rappelle bien des souvenirs. Mais ce ne sont que des souvenirs. Ce temps est passé, et à une époque où la soif d’harmonie se fait si pressante, le fracas de ces jeux de cubes de maternelle n’a plus de raison d’être du moins telle que le chorégraphe la pratique. A chaque époque ses révolutions.
Jacqueline Thuilleux
(1) Lire l’article « Hellerau ou l’âge d’or de la rythmique » : www.concertclassic.com/article/hellerau-ou-lage-dor-de-la-rythmique-une-utopie-qui-dure
Impressing the Czar (chor. William Forsythe) – Paris, Palais Garnier, 4 janvier ; prochaines représentations les 5, 6, 7 & 8 janvier 2017. www.operadeparis.com
Photo © Ian Whalen
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