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« Il faut toujours chercher ce que voulait le compositeur » - Une interview de Louis Langrée 


Pour la quatrième année consécutive, Louis Langrée dirige au Festival d’Aix en Provence. Après Zaïde et Don Giovanni de Mozart, voici avec La Traviata son premier Verdi. Il ne lâche pas Mozart pour autant puisqu’il reste responsable du Festival new yorkais Mostly Mozart jusqu’en 2014 et qu’il vient de prendre la direction artistique de la Camerata de Salzbourg. Comme le confirme le prix de la « Personnalité musicale de l’année » décerné il y a peu par le Syndicat de la critique, à juste 50 ans, Louis Langrée voit sa carrière internationale exploser.

Qu’avez-vous pensé de la « performance » de Natalie Dessay en Violetta ?

LOUIS LANGREE : Ce qui m’étonne chez elle, c’est ce que le public ne voit pas et n’entend pas.

Qu’est-ce à dire ?

L.L. : Elle est bien la seule que je connaisse à donner toujours toute sa voix : en répétition, elle ne « marque » jamais, elle ne s’économise pas. Alors la légende de la faible femme, moi je n’y crois pas ! Cela faisait des semaines que nous répétions dans des conditions de chaleur accablantes aux ateliers de Venelles : non seulement, elle ne s’est jamais plainte, mais elle en redemandait. Un jour, après une répétition épuisante, elle m’a dit : « j’ai besoin de cinq heures pour me chauffer : après, je fais ce que je veux ! Tu ne veux pas qu’on continue un peu ? Je voudrais essayer certaines choses.» De fait, nous avons expérimenté des détails qui ont nourri les répétitions suivantes et son interprétation. Elle est comme ça Natalie.

Et Ludovic Tézier ?

L.L. : Lui, c’est le contraire : il avait déjà beaucoup chanté le rôle du père Germont. Ce qui ne l’a pas empêché d’accepter tout ce que je lui ai proposé, d’abord de chanter certains passages comme du lied.

Comment avez-vous abordé la partition de votre premier Verdi ?

L. L. : Quelques soient vos admirations, en l’occurrence, Serafin, Giulini, Carlos Kleiber et Muti, il faut d’abord aller regarder ce que voulait le compositeur. Sur les conseils du bibliothécaire de la Scala de Milan, je me suis procuré la dernière édition de Ricordi. Elle propose en regard la première version (celle de la création à Venise) et la définitive. Mais aussi toutes les corrections du vivant de Verdi : c’est fondamental ! En sorte qu’on entend dans la Cour de l’Archevêché des choses oubliées peut-être pour d’obscures raisons, mais qui correspondent toujours aux souhaits de Verdi. J’en arrive à penser qu’en un siècle et demi des erreurs se sont glissées : c’est le cas de la musique gitane du second tableau du deuxième acte, qui était devenue lourde. En réalité, elle est beaucoup plus dansante et partant hésitante. Je peux vous le dire aujourd’hui : si j’avais découvert la version de Venise plus tôt, je l’aurais proposée à Aix, d’autant que le premier acte est écrit un demi-ton au dessus ce qui aurait parfaitement convenu à Natalie Dessay !

Vous ne lâchez pas Mozart : après avoir prolongé votre contrat à New York, vous venez de prendre en mains les destinées de la Camerata de Salzbourg. Comment allez-vous travailler avec une phalange dont les prestations sont devenues inégales ?

L.L. : C’est de fait une formation en roue libre, écartelée entre deux traditions. Elle doit impérativement retrouver une identité comme ce fut le cas sous le règne de Sandor Vegh. Nous partons d’un socle de 35 musiciens, chiffre qui correspond à l’effectif du Gewandhaus de Leipzig au temps de… Schumann ! Moi ça me va, car il suffit d’engager quelques musiciens supplémentaires pour jouer une Symphonie de Brahms dans les conditions qui étaient celle de Hans von Bülow du vivant de Brahms.

Cela dit, nous allons retravailler Mozart et encore Mozart, car c’est le socle du répertoire et la clef du style. Nous ne nous interdirons pas d’y inscrire Bartok, ce que Sandor Vegh avait déjà fait. Mais songez que la Camerata n’a jamais joué une note de Ravel ! Or, la musique française est indispensable à la transparence du son qui doit caractériser un orchestre de chambre.

C’était l’effectif orchestral accompagnant la création du Concerto pour violon de Tchaïkovski : et bien, nous n’allons pas nous en priver pour la bonne raison que cela change du tout au tout les rapports avec le soliste !

Propos recueillis par Jacques Doucelin, le 7 juillet 2011

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Photo : Akonas Holt

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