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Hommage à Roland Petit au Palais Garnier - Le grand homme et la mort - Compte-rendu

Immense cette carrière dont l’Opéra de Paris a vécu les temps forts, même si le personnage tempétueux qu’était Roland Petit a couru le monde, avant de se fixer au ballet de Marseille, à 50 ans, et d’en faire une troupe de niveau international pendant vingt-cinq ans. Entre ses débuts dans la Grande Boutique, tout jeune homme, puis son départ piaffant à 20 ans, et cet hommage posthume, deux mois après sa mort à 87 ans, plus de soixante ans de rapports passionnels, conflictuels ou amoureux, qui ont valu à l’Opéra quelques-unes des pièces maîtresses de son répertoire.

Si la déception de n’avoir aucune spectacle vivant à savourer pour célébrer cette aventure a un peu étonné le public, la soirée vidéo, présidée par Zizi et sa fille Valentine, toutes deux enfouies dans leur chagrin, a pourtant permis de prendre la mesure de l’infinie variété de son talent, et quelques-unes des facettes de son inspiration. Et quelle étrange impression que de voir les danseurs de l’opéra dans leur cadre habituel, mais bizarrement enfouis dans cette boîte magique comme encastrée sur le plateau et sous les cintres de l’Opéra. Mais force est de dire que cette vision, souvent flatteuse, d’interprètes dont nous ne mesurons pas toujours le potentiel émotionnel et plastique, a permis de les aimer un peu plus que l’apparente absence d’étoiles d’importance à l’Opéra ne le provoque habituellement.

Il n’y a rien à ajouter sur l’excellence d’Isabelle Ciaravola et de Nicolas le Riche, dans Le Rendez-vous, repris par l’Opéra en 1992, ballet ô combien daté des jeunes années de Petit, quand il profilait Carmen et le Jeune homme et la mort, et s’abreuvait aux sources de Cocteau, Kochno, Derain, Brassaï ou Picasso. Epoque héroïque, éblouissante, des années de l’immédiat après-guerre, qui allait faire de lui une star hollywoodienne, en compagnie de sa muse Zizi. Pour Ciaravola grâce à ses jambes irréelles et son style à la fois glacé et sexy, pour Leriche, pour l’ampleur de sa gestique, et son masque à la fois innocent et tragique. C’était l’époque de la fatalité, à visage souvent féminin dans l’œuvre de Petit. Quant à Proust ou les Intermittences du cœur, moins célèbre et moins populaire que Notre Dame de Paris ou l’Arlésienne, (bouleversant chef-d’œuvre), il ouvre mille portes sur la subtilité et la musicalité d’un homme dont on a souvent raillé la gestique systématique et la canaillerie parisienne voire parigote.
Ici, puisant chez l’écrivain un écheveau complexe de variations de l’âme humaine, il tresse une guirlande de tableaux autour de musiques finement gérées et imbriquées, de l’incomparable Psyché de Franck à la Mer de Debussy, outre Saint-Saëns, Fauré et Beethoven, pour finir sur le pétaradant Rienzi, en un caricatural défilé où s’inscrivent les lourdeurs du temps que Proust essayait de survoler.

Il y a dans ces tableaux des moments parmi les plus parfaits de l’œuvre de Petit, laquelle compta au moins 170 ballets : des jeunes filles en fleur ondoyant sous la brise marine, au réveil de Psyché, incarnée par une Eleonora Abbagnato au mieux de sa grâce sensuelle, au désespoir de Charlus- Manuel Legris-, si proche de celui d’Aschenbach de Mort à Venise, et au pas de deux tout en entrelacs, stupéfiant de beauté à l’antique entre Morel et Saint-Loup, incarnés par Stéphane Bullion et Matthieu Ganio, les plus beaux éphèbes de l’Opéra. On ne les avait jamais vus si transcendés par la musique, si habités par leurs rôles que dans cette captation d’un ballet créé en 74 au Ballet de Marseille et filmé en 2007 à Garnier par Vincent Bataillon. Comme quoi, les danseurs, gens fragiles, ont besoin d’un chorégraphe pour les animer. Et Petit fut un magicien.

Jacqueline Thuilleux

Palais Garnier, soirée vidéo du 9 octobre 2011 / DVD Bel Air de Proust ou les Intermittences du cœur

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Photo : extrait DVD Bel Air de Proust ou les Intermittences du cœur
 

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