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Hamlet d’Ambroise Thomas au Festival de Radio France Occitanie Montpellier 2022 – Hamlet retrouve sa tessiture – Compte-rendu

 Même réduit à peau de chagrin par rapport aux éditions d’autrefois, le Festival de Radio France est toujours celui des raretés et cet Hamlet pour ténor obligé méritait le détour, en ouverture d’une édition 2022 placée sous le thème « So British ». Longtemps boudé, l’Hamlet d’Ambroise Thomas (1811-1896) est aujourd’hui réhabilité grâce à de nombreuses productions de qualité (Boussard, Py, Teste). Dénigrée, la partition a enfin retrouvé sa place dans la musique française du Second Empire et offert à des barytons de renom (Degout, Lapointe, Keenlyside après Hampson et Milnes véritables pionniers) un rôle de tout premier plan.

A l’origine de l’immense succès de la soirée d’ouverture du festival montpelliérain, un casting cinq étoiles dominé par l’Américain John Osborn (photo). Écrit pour un ténor qui s’avéra finalement introuvable lors de la création en 1868, le rôle-titre – finalement confié à l’époque au baryton Jean-Baptiste Faure qui venait de triompher dans L’Africaine et dans Don Carlos –, demande dans cette recréation (ou première mondiale), l’endurance d’un Berlioz (Benvenuto Cellini), la résistance d’un Offenbach (Les contes d’Hoffmann) et l’ambitus d’un Gounod (Faust).
 

© Marc Ginot

Aguerri à ce répertoire et grand serviteur du bel canto romantique, Osborn est l’interprète idéal. Sa performance vocale s’appuie sur une technique de chant exemplaire, une diction française parfaite et une pénétration dramatique des plus approfondies. Brisé par un régicide qu’il ne peut pardonner, son Hamlet préfère affronter la vérité quitte à ce qu’elle conduise sa fiancée au suicide, et à tutoyer la folie, se laissant guider par le fantôme de son père. La brillance des accents, la douleur introspective ou le sarcasme, il exprime, sans jamais baisser la garde, avec d’infinies variations, les affres de ce héros shakespearien par excellence que l’on aimerait applaudir prochainement à la scène.

Des personnages masculins qui l’accompagnent se détachent une nouvelle fois le Spectre du roi plus vrai que nature de Jérôme Varnier, grand habitué du rôle, le sémillant Laërte de Philippe Talbot et le granitique Claudius de Julien Véronèse ; les basses Geoffroy Buffière et Rodolphe Briand s’acquittant élégamment de leurs rôles secondaires. Jodie Devos nous avait épaté l’an dernier à Liège lors d’un concert « Hamlet et le romantisme à la française » en hommage à Thomas au cours duquel elle s’était révélée d’une musicalité et d’un raffinement uniques. Moins dramatique que Patrizia Ciofi, la soprano belge d’essence colorature n’en est pourtant pas moins frémissante et assume avec brio l’écriture virtuose d’Ophélie, tout en construisant un portrait d’une intense variété. Souveraine, sa technique lui permet ainsi d’exprimer toutes les nuances et de culminer dans une scène de folie magistrale digne de Lucia di Lammermoor.
 

Jodie Devos & Michael Schønwandt © Marc Ginot

Clémentine Margaine n’a aucun mal à faire flamboyer son ample et chaude voix pour faire exister la très paradoxale Gertrude, veuve rapidement remariée au frère de son époux. Moins subtile que sa consœur Sylvie Brunet elle compose, malgré une tendance à chanter avec violence et emportement, un personnage excessif et habité qui fait son effet.

Si les solistes parviennent à un tel degré d’intensité c’est incontestablement grâce à Michael Schønwandt. Le maestro danois affiche dès le premier accord un art de la direction exceptionnel. La rigueur du geste n’a d’égal que la puissance de la vision et la certitude de tenir là une œuvre maîtresse. Entre les mains d’un tel expert, les membres de l’Orchestre de l’Opéra de Montpellier et des chœurs réunis de Montpellier et du Capitole de Toulouse (préparés par Noëlle Gény et Gabriel Bourgoin) réalisent des prouesses et restituent avec minutie le moindre détail, du furtif solo de saxophone aux délicates évocations orientales prêtées à la folie d’Ophélie. Un concert qui fera date, bientôt retransmis sur les ondes de France Musique.

François Lesueur

Ambroise Thomas : Hamlet (version ténor) – Festival de Radio France Occitanie Montpellier ; Le Corum 15 juillet 2022 // lefestival.eu/representation/hamlet/
 
Photo © Marc Ginot

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