Après avoir mis en scène trois opérettes d’Hervé pour le Palazzetto Bru Zane, Pierre-André Weitz a été sollicité par l’Opéra du Rhin pour monter Giuditta (1934), l’ultime opus lyrique de Franz Lehár (1870-1948). On se réjouit que cet enfant du pays (il saluera en gilet traditionnel alsacien) ait renoncé à la frénésie pesante des trois spectacles évoqués plus haut, au profit d’une atmosphère moins caricaturale.
Décorateur attitré d’Olivier Py, Pierre-André Weitz respecte l’époque et les différents lieux d’une action située dans les années 1930, des deux côtés de la Méditerranée, la version francophone établie pour la création bruxelloise transformant même en village du sud de la France le cadre du premier acte. Seule petite entorse : la place dudit village est ici occupée par un cirque, ce qui permet d’occuper la scène par les déambulations de divers artistes et phénomènes de foire. Plus loin, ce souci de meubler pourra s’avérer gênant, surtout lors du dernier air du héros, « Schönste der Frauen », « La plus aimée » en VF, un des points culminants de la partition, mais qui est ici chanté sur fond de défilé de la noce de Séraphine et d’Anita, contrepoint visuel dont on comprend mal la pertinence.

© Klara Beck

Plus grave, cette production semble priver le rôle-titre de toute sa dimension fascinante, de tout son mystère. Giuditta devrait être un personnage énigmatique, aux origines troubles, qui s’exprime avec un accent inclassable (précaution peut-être prise par les librettistes pour mieux justifier l’allemand de Jarmila Novotna, la créatrice à l’Opéra de Vienne en 1934). Cette héroïne est une femme fatale à la Marlene Dietrich, tous les commentateurs ont souligné la proximité entre l’œuvre et le film Morocco de Josef von Sternberg, mais les amateurs d’opéra penseront surtout à Lulu : des hommes se sont ruinés ou suicidés pour cette créature mi-animale mi-humaine… Hélas, on est ici loin du compte, et la Giuditta qui nous est montrée se trémousse beaucoup, elle passe les trois quarts de son temps en guêpière (mais elle revêt un smoking blanc pour « Meine Lippen, sie küssen so heiss », « Sur mes lèvres se brûle ton cœur ». Trop accessible, l’héroïne n’est ici qu’une danseuse/prostituée au destin banal.

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Peu aidée par une direction d’acteur trop discrète, Melody Louledjian se trouve confrontée à une tessiture exigeante qui la met parfois en difficulté. Le charme de l’actrice, remarqué dans Le Baron tzigane à Genève ou Ciboulette à Paris, ne compense pas tout à fait le manque de grave et les tensions dans l’aigu. Capable de belles nuances, Thomas Bettinger mobilise tous ses moyens pour rendre justice au rôle conçu pour Richard Tauber, avec un résultat assez convaincant. Sandrine Buendia et Sahy Ratia ont la vivacité attendue pour former un parfait couple comique, et l’on est touché de retrouver le vétéran Nicolas Rivenq dans plusieurs petits rôles. Spécialiste du genre, Jacques Verzier brille dans le numéro de comédie musicale que Lehár a réservé à Jean Cévenol. Christophe Gay et Rodolphe Briand complètent dignement l’équipe des chanteurs, les autres personnages n’ayant que des interventions parlées (et l’on remarque, comme toujours, la présence de Pierre Lebon, comme acteur et comme danseur).
Le Chœur de l’OnR (préparé par Hendrik Haas) a finalement assez peu à faire, et c’est surtout à la fosse que Lehár demande beaucoup : l’Autrichien Thomas Rösner permet à l’Orchestre national de Mulhouse de respecter les différentes composantes d’une partition capiteuse où se mêlent espagnolade et orientalisme.

Laurent Bury