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Geoffroy Jourdain dirige la Missa sacra de Schumann - Chef d’œuvre englouti - Compte-rendu

Geoffroy Jourdain

Une œuvre rare à plus d’un titre, d’abord parce composée par Schumann à Düsseldorf, à la fin de sa courte vie, elle ne fut pas jouée de son vivant et connut sa première exécution en 1861, à la grande émotion de Clara, puis fut très oubliée. Rare surtout parce qu’elle exprime un élan religieux qui ne marque pas l’ensemble de l’œuvre du compositeur, même si une vraie quête mystique inspire les Scènes de Faust. Aux yeux des musicologues cette messe passe cependant pour sa partition la plus aboutie, du moins sur le plan de la stricte écriture orchestrale et chorale : on doit à Geoffroy Jourdain (photo) un grand merci pour avoir sorti de l’ombre cette partition délaissée. Et qui mérite une vraie mise en lumière, pour la subtilité avec laquelle Schumann enchâsse son lyrisme sombre dans polyphonie et contrepoint, rappelant combien, aux dires de Liszt, «  il voulait concilier son sentiment profondément romantique avec la force classique ».

Particulièrement étreignant le long Sanctus fugué, ou la brève inclusion pour soprano tota pulchra es, ici chantée par la mezzo Marianne Crebassa, jolie valeur de la nouvelle génération malgré un timbre un peu métallique. Même si, comme souvent chez Schumann, une impression d’étrangeté marque la structure de ses œuvres symphoniques, car il ne pensa guère « orchestre » mais se coula presque chaotiquement dans cette démarche d’écriture, avec les résultats éclatants que l’on sait pourtant.

Dommage qu’après sa première exécution à Royaumont le 17 septembre dernier, l’acoustique du joli théâtre de Puteaux, suffisante pour le chœur Les Cris de Paris, n’ait pu permettre d’apprécier pleinement l’équilibre des forces en présence, orchestre étouffant un peu les voix, tandis que les cordes sombraient épisodiquement dans un grand trou, d’où surnageaient appels de cors et de timbales. L’orchestre à géométrie variable réuni suivant le mode de fonctionnement des Cris de Paris, s’employait pourtant vigoureusement à rendre les couleurs des instruments d’époque, que la direction si vivante de Geoffroy Jourdain faisait tout pour aiguiser. Des bizarreries qui n’ont tout de même pas éteint le caractère exceptionnel de cette exécution.

En première partie, la plongée dans le monde romantique avait déjà mené l’auditeur dans les arcanes de la plus sombre inspiration allemande, celle portée par les brumes idéalistes, généreuses et désespérées, des Kleist, Hölderlin, Novalis, que Schumann rejoindrait dans leur panthéon. On sait combien la subtilité de palette, la beauté des timbres et l’homogénéité des Cris de Paris permettent de rendre les plus fines nuances de partitions a cappella généralement négligées, mais il faut insister sur la mise en valeur d’un petit joyau, le Requiem de Peter Cornelius, précédant de plus classiques pièces de Schumann (Vier doppel chörige Gesänge, op 141) et Mendelssohn (Mitten wir im Leben sind, op 23 n°3). Une œuvre suspendue, portée par une douloureuse méditation, mais sans pathos ni effets. De quoi arracher au monde sans regrets ! Il sera précieux de la redécouvrir dans l’enregistrement qu’Aparté consacre à ce programme, enregistré dans son intégralité et disponible sans doute au printemps 2012.

Jacqueline Thuilleux

Puteaux, Théâtre des Hauts-de-Seine, le 1er octobre 2011.

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Photo : DR
 

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