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Fidelio & Le Prisonnier/Erwartung à l’Opéra de Lyon - Fondu au noir - Compte-rendu
Fidelio n’est-il qu’un opéra ? Et d’abord est-il un opéra ? Singspiel malhabile, l’œuvre est en fait peu disposée au théâtre, encombrée de dialogues médiocres que les metteurs en scène n’hésitent pas à faire réécrire (c’est encore une fois le cas ici). Son sujet même, la lutte contre la tyrannie et son oppression, minorée par la présence d’une autorité supérieure éclairée, en fait plutôt une thèse qu’un ouvrage pour le théâtre.
Sur ce présupposé difficile, Beethoven, après bien des errements – une première version de l’ouvrage, sous l’intitulé plus transparent de Leonore se rapprochait autrement du modèle de l’opéra classique - a couché quelques unes de ses plus belles pages : deux grandes scènes lyriques au format surprenant, la première dévolue à Leonore, la seconde à Florestan, un quatuor suspendu dans le temps comme dans son expression, ainsi que deux ensembles choraux stupéfiants, le premier par sa noirceur - l’aria de Pizarro avec sa deuxième partie où l’apparition de la soldatesque crée un effet dramatique saisissant – le second par sa poésie atmosphérique, le fameux chœur des prisonniers. Ces éléments disparates, tous frappés au sceau d’un génie musical plus symphonique que lyrique – les chanteurs s’y étranglent, ils en savent quelque chose et en redoutent donc tous les pièges - sont comme rapiécés les uns aux autres par un matériau fatalement secondaire dont les coutures se voient beaucoup. Gary Hill a assorti l’ouvrage d’une récitante et de dialogues passablement restructurés, transposant l’action dans un futur astral à la société fatalement déshumanisée, le tout transcendé par une pointe de science-fiction.
On avoue contrairement à une bonne part d’un public assez grossier pour siffler les artistes en scène et à l’œuvre, que cela ne nous a guère gêné. D’autant que l’opéra n’y perd rien et que le spectacle y gagne beaucoup. On a tant vu de Fidelio avec grilles et chaînes, haillons et tricornes, au théâtre figé et à la direction d’acteur convenue que même les encombrements dont s’handicape le metteur en scène, comme ces trottinettes électriques qui contraignent les personnages à n’être que des marionnettes, passent au seconde plan d’un spectacle singulier dont on n’est pas près d’oublier la poésie.
Incontestablement Gary Hill a un univers et vous y entraîne. Mieux, avec son art de vidéaste il vous immerge littéralement dans la scène, il vous aspire dans l’omniprésence cabalistique de ses formes futuristes ou naturalistes dont les personnages de l’opéra son constamment enveloppés. Univers de noir et de gris, qui ne se colorent que par instant – pour les prisonniers rendus à l’air libre – étouffant, déconcertant, d’une magie sombre, où la tombe de Florestan devient un cercueil sidéral. On n’est pas près d’oublier Florestan lui-même comme en lévitation entre la vie et la mort, vraie image de théâtre pour le coup, qui semble pourtant procéder d’abord de la grande illusion. Et que faut-il lire dans les costumes féminisés des détenteurs du pouvoir absolu, Pizarro tout en noir, Fernando tout en blanc ? Hill aime laisser à ses spectateurs quelques énigmes pour la nuit.
Florestan, c’est Nikolai Schukoff, physique de jeune premier héroïque et voix fragile, peut-être trop pour la coda de son air, mais quel ténor ne s’y est pas brûlé ? Sans crainte, il affronte la tessiture meurtrière quitte à s’y étrangler, mais il nous donne le frisson que des voix plus à propos ignorent. Incarnation au total magnifique et quel aplomb dans « O namenlose Freude » et plus encore dans l’ensemble du final où son ténor sombre percute la salle.
Sa Leonore, Michaela Kaune, d’abord une Ariane, une Arabella, une Comtesse Madeleine, bientôt une Maréchale, fait assaut de beau chant, détaille le rôle, met beaucoup de couleurs et d’esprit dans chaque mot, masquant ça et là une ligne trop tendue pour elle comme pour tant d’autres. Mais baste, on admire l’art même si l’on s’émeut d’une prise de risque qui nous semble superflue. C’est bien, elle aura tenté Leonore dans un théâtre dont les dimensions ne l’exposent pas trop, mais qu’elle cesse de mettre en péril sa voix idéale de soprano lyrique straussien : ni Della Casa, ni Schwarzkopf n’ont osé Leonore, et Kaune n’est pas Jurinac. Un peu fâché avec la justesse, Pavlo Hunka donne un relief meurtrier à son Pizzaro, le Rocco sensible de Wilhelm Schwinghammer ne laisse pas indifférent, tout comme le Jaquino de grand format de Christian Baumgärtel, à suivre. Andrew Schroeder pour Don Fernando c’est le luxe !, alors que Karen Vourc’h en petite voix met sa Marzelline à la peine. Gageons une simple fatigue passagère.
L’autre grand vainqueur de la soirée reste le chœur maison, qui depuis un Messie où il portait toute l’œuvre s’affirme comme l’un des meilleurs de l’hexagone, capable de produire de beaux solistes tels les prisonniers de Didier Roussel et de Kwang Soun Kim. Le pauvre, aux salut il écope des sifflets qui dans l’esprit des siffleurs devaient moquer le metteur en scène et son équipe. Un orchestre un peu gris, apparemment plus tempéré qu’à la première, et une direction trop uniment factuelle – on a connu Kazuchi Ono plus inspiré – faisaient un léger bémol.
La veille justement, Kazuchi Ono était autrement à son affaire, creusant l’orchestre de poix et de braise du Prisonnier de Luigi Dallapiccola, en exposant toute l’implacable mécanique. Cette « torture par l’espoir » tirée d’une nouvelle terrifiante de Villiers de L’Isle-Adam inspirée par une épisode de l’inquisition en Flandres, donne l’occasion à Alex Ollé et au collectif de La Fura del Baus de signer un de ses plus parfaits spectacles, recourant avec parcimonie à la vidéo, se concentrant sur une direction d’acteur au cordeau à laquelle même le dispositif tournant où se succèdent les portes immuables de geôles éternelles semble inféodé. Dans ce noir absolu, Ollé montre dès le début la fin de l’histoire. Sur le brancard des morts, sous un suaire, le prisonnier – extraordinaire Lauri Vasar au baryton si percutant, à la plastique si déliée – est déjà pleuré par sa mère avant de se réveiller pour replonger dans la réalité de son cauchemar. On a tout aimé de ce spectacle parfait qui rend enfin justice à rien moins qu’un chef-d’œuvre ; il faut qu’il soit capté, thésaurisé.
On reste plus réservé devant l’essai de scénarisation d’Erwartung, mélodrame inspiré à Schoenberg par un épisode de sa vie conjugale ; un hiatus entre le jeu hyper expressionniste de Magdalena Anna Hofmann qui en domine les terrifiants écarts de tessiture avec un art du beau chant clouant, et la somptuosité de la réalisation vidéographique empêche Alex Ollé d’aller au bout de son propos, on a l’impression d’un empilement plutôt que d’une complétude, alors que, dès la première image si « bunuelesque » on avait espéré bien plus. En fait, Ollé aurait du passer outre la scène pour réaliser un film complet. Et pourquoi pas ? Comme le démontrait dans Fidelio Gary Hill, le cadre de scène de l’Opéra de Lyon transformé en gigantesque écran est une arme qui sait être puissante.
Jean-Charles Hoffelé
Dallapiccola : Le Prisonnier / Schoenberg : Erwartung - Lyon, Opéra, le 29 mars, prochaines représentations 4, 7, 9 et 13 avril 2013
Beethoven : Fidelio - Lyon, Opéra, le 30 mars, prochaines représentations 2, 5 et 12 avril 2013
www.opera-lyon.com
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Photo : Stofleth
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