Journal

Festival de la Roque d’Anthéron - A chacun son Liszt - Compte-rendu



Année Liszt oblige, la deuxième partie du 31e Festival de La Roque d’Anthéron a commencé par une « nuit du piano » mémorable : l'intégrale des Années de Pèlerinage par Nicholas Angelich, sept ans après sa version gravée chez Mirare. Tempo de majesté, profonde méditation et caresse de toucher, Angelich est un coloriste hors pair et fait glisser son vague à l'âme avec une maestria peu commune. Dans une interprétation délibérément contemplative, il oublie soigneusement de prendre les Années pour des carnets de voyage et les joue pour ce qu'elles sont : une réflexion sur la création et la quête de vérité d'un musicien jamais assouvie mais toujours renouvelée. De là à nous faire aimer la troisième année du recueil, véritable aporie d'une vie de composition signée par un Liszt devenu abbé, il ne faut rien exagérer. Mais Angelich franchit à merveille le pas des Jeux d'eau de la Villa d'Este, déclinés en bis, même si le clou de ce marathon mélancolique restera l'Italie et des Sonnets de Pétrarque d'anthologie déployés dans la nuit comme autant de vestiges romantiques.


Deux jours plus tard, Angelich reprend avec la même santé pianistique sa quête de musicien, cette fois-ci dans le très beau cloître de l'Abbaye de Silvacane, à l'assaut des Variations Goldberg. Dans un contraste saisissant, c'est à nouveau une histoire du clavier qu'il dessine, mais cette fois jouant sur les ruptures, les attaques et ornements comme pour malmener l'égo des variations, en faire éclater toutes les pistes possibles, retrouvant par endroits une sonorité proche du clavecin, notamment dans les sommets de virtuosité des variations 26 et 28. Toujours aussi surprenant, il aura terminé son passage à la Roque sur un bis de Chopin joyeusement incongru... mais dans la même tonalité. Quelle santé !


Surprise aussi le soir en plein air en voyant Luis Fernando Pérez, d’abord connu dans la musique espagnole, s'adonner à un nouveau répertoire qui lui va comme un gant : les concertos de Mozart (en l'occurrence les nos 12 et 17). Jouant avec la partition pour se rassurer, Pérez n'en maîtrise pas moins son sujet d'un jeu cristallin, parfaitement équilibré avec ce juste ce qu'il faut de taquinerie pour entrer en connivence avec la sérieuse légèreté de ces deux concertos écrits comme des petits opéras. Les cordes soyeuses et alertes du Sinfonia Varsovia le suivent sur le même chemin.


On n'en dira pas autant des cuivres de l'orchestre polonais, massacrant deux jours plus tard la Symphonie « Rhénane » de Schumann avec la musicalité d'un klaxon provoqué sous le coup de l'énervement. Heureusement pour eux, ils sauront se faire plus discrets dans les deux concertos de Liszt que sont venus interpréter deux jeunes pianistes déjà largement reconnus. Radieux aussi bien en saluant le public qu'en exposant le thème de l’Allegro maestoso du Concerto n°1, Bertrand Chamayou retrouve avec bonheur le compositeur qui l'avait vu débuter à « Piano à Lyon », aussi à l'aise dans l'adagio lyrique que dans les cascades rythmiques de ce véritable toboggan.

Mais aussi parfaite que fût sa prestation, elle apparaissait presque sage lorsque déboulait le deuxième soliste de la soirée, Jean-Frédéric Neuburger (photo), manquant à son entrée de rentrer dans les musiciens du Sinfonia Varsovia tellement il était pressé de rejoindre le clavier. Semblant à peu près dans le même état bouillonnant que Liszt au moment de sa composition, prêt à faire sortir toutes les sonorités de l’instrument pour rivaliser avec l'orchestre, il s'est jeté avec passion dans le Concerto n°2. Chez Liszt, c'est le piano qui dirige et Neuburger ne se privait pas d'imposer son rythme semblant déborder à lui tout seul l'énergie du Sinfonia Varsovia, déployant une force tellurique sans jamais perdre l'intelligence de la partition ; toujours à l'écoute, dialoguant à merveille avec la flûte ou le violoncelle solo.

Vingt minutes d'anthologie conclues en bis à quatre mains, en toute fraternité avec Bertrand Chamayou, autour de deux Danses slaves de Dvorak. Ce n'était pas la moins belle des émotions de La Roque que de voir cette paire-là quitter la scène le bras sur l'épaule, comme deux grands artistes en devenir qui se sont déjà reconnus.


Les révélations du festival étaient à aller chercher du côté de l'inépuisable répertoire Chopin. Au rayon formaliste, la jeune Moscovite Yulianna Avdeeva, 1er Prix du Concours de Varsovie l'an dernier, est incontestablement une orfèvre. Elle travaille le beau son avec la patience d'un ange tombé amoureux du moindre bibelot d'un salon de George Sand, même si son interprétation souffre encore, et nous aussi, d'une lecture par trop scolaire et terre à terre, surtout sur un territoire aussi fréquenté que celui des Nocturnes.


À l'exact opposé, faussement désinvolte, Evgeni Bozhanov offrait un Chopin lyrique bercé par un jeu subtil de pédale et de rubato, particulièrement attentif à l'architecture harmonique jusqu'à souligner les couleurs debussystes de la Barcarolle. C'est justement avec L'Isle Joyeuse et Debussy qu'il a conclu en bis ce plus que prometteur premier récital à la Roque. Musicien atypique, assis très bas, le jeune pianiste a créé la polémique en ne remportant pas la médaille d’or du Concours Chopin de Varsovie 2010 tout en conquérant les faveurs du public et des critiques.

En concert, le Bulgare est en train de joliment prendre sa revanche. Faisant des signes désolés au public au début de son récital, il n'en revenait pas d'entendre les cigales chanter au milieu de la musique du Polonais. C'est le charme du plein air. Qu'il ne s'inquiète pas, il peut revenir. Elles avaient bon goût.




Luc Hernandez




Festival de La Roque d'Anthéron, du 7 au 12 août 2011



> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Luc Hernandez

Photo : Carole Bellaïche

Partager par emailImprimer

Derniers articles