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Fazil Say inaugure le Festival Piano aux Jacobins 2025 – Incarnation totale – Compte-rendu

 
En confiant à Fazil Say l’inauguration de sa 46e édition – qui, jusqu’au 30 septembre, verra se succéder une vingtaine d’interprètes de toutes générations, en classique comme en jazz – Piano aux Jacobins offrait l’assurance d’une soirée pas comme les autres. Sous ses doigts, la musique résonne toujours à la première personne du singulier. Partagé entre Bach et des compositions de son cru, son récital toulousain pourrait être qualifié de « sayissime » tant il illustrait de saisissante manière une relation unique au clavier, à la musique et au public.

 
Ni post-gouldien, ni pseudo-métaphysique
 
Les Variations Goldberg, dont le pianiste a signé un enregistrement remarqué – et discuté, c’est bon signe ! – pour Warner en 2022, figure régulièrement dans ses programmes. Dès l’Aria introductive, d’une rare plénitude sonore, on comprend que l’on n’aura en rien affaire à une vision obsédée par le souvenir de la version Gould –  interprète qui, au passage, nous a toujours semblé plus convaincant dans les Toccatas que dans son sacrosaint BWV 988 –, ni à cette manière en génuflexion devant le « chef-d’œuvre », avec tout l’horripilant bolduc pseudo-métaphysique dont on l’enrubanne – et avec l’auditoire comptant, d’un air digné et pénétré comme il se doit, les trente variations comme des bornes kilométriques ...

 

© William Wartel 
 
 
Festin polyphonique
 
Non, c’est à un Bach de chair et de sang, incarné de la façon la plus totale, auquel nous sommes conviés. Vitalité et puissance du geste distinguent ce qui prend l’allure d’un véritable festin polyphonique, jubilatoire quand ce n’est vertigineux de tension et d’élan, de profondeur aussi lorsqu’il se penche sur le puits de mystère des variations les plus secrètes. Ce toujours avec une variété infinie de la palette sonore, sans une once de nostalgie pour le clavecin. Fort de son expérience d’acoustiques très variées, Fazil Say sait jouer de celle, généreuse, du cloître des Jacobins. Relation unique au clavier, à la musique et au public : trois dimensions totalement indissociables dans l’idée qu’il se fait du récital.

 
Ecouter avec les yeux

 
On l’écoute bien évidemment – pas un instant de temps mort ne se glisse dans son propos – et ... on le regarde ... Quand une main se libère elle se tend vers les cordes et semble ordonner à la musique. Et d’aucuns de rétorquer que cela ne sert de rien : ils oublient que le récital, comme le concert, s’écoute aussi avec les yeux et que cette chorégraphie des bras et des mains n’est pas effet mais manifestation d’un investissement physique et intellectuel absolu. Un moment unique qui n’est pas près de quitter les mémoires d’un auditoire aussi nombreux qu’enthousiaste.

 

© Axel Arno
 

Dans ses œuvres
 
Pas d’entracte. Le temps de passer quelques instants en coulisse et voilà l’artiste de retour sur scène pour des pièces de sa composition. Avec la Sonate op. 99 « Yeni Hayat » (Nouvelle vie), une partition composée au début de la décennie pendant la pandémie et Kara Toprak (plus connue sous titre Black Earth), on assiste à une prise de possession complète de l’instrument, via le clavier aussi bien que par le contact direct avec les cordes. Sur cette forme de piano augmenté, Say se mue en chamane libérant des forces mystérieuses avec des sonorités inspirées des instruments traditionnels. On n’est pas moins séduit par les poétiques Quatre Ballades, qui parlent à l’imaginaire et dévoilent vastes paysages (magnifique Winter Morning in Istanbul ...).
La jubilation virtuose prévaut in fine avec la Fantaisie de Jazz : il n’est plus besoin de dire l’humour et l’impertinence du désormais fameux Alla Turca Jazz ; on est mêmement ébloui par le Paganini Jazz médian, et sans doute plus encore par Summertime où le thème de Gershwin fournit matière à un moment de piano fabuleusement dominé.
Standing ovation immédiate. Pas de bis. Nul ne saurait en vouloir à Fazil Say : un avion l’attend à l’aube le lendemain et il absolument tout donné.
 
Alain Cochard

46e Festival Piano aux Jacobins – Toulouse, Cloître des Jacobins, 4 septembre 2025 // jusqu’au 30 septembre 2025 : www.pianojacobins.com/
 
Photo ©  William Wartel

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