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​Fantasio d’Offenbach au Châtelet – Merveilleuse ambiguïté – Compte-rendu

La création de Fantasio, le 18 janvier 1872 à l’Opéra-Comique, valut un cuisant échec à Jacques Offenbach. Les circonstances historiques expliquent en partie l’accueil réservé à l’ouvrage d’un auteur d’origine allemande indissociable du Second Empire défunt. En partie seulement car il ne fait pas de doute que le ton affiché dans cette nouvelle composition ne pouvait que dérouter le public qui avait fait le succès de la Belle Hélène ou de la Grande Duchesse de Gerolstein.

Ouvrage oublié certes, Fantasio n’est toutefois plus un inconnu pour les curieux de la chose offenbachienne. Grâce au travail de recherche et à l’édition élaborée par Jean-Christophe Keck, un estimable enregistrement en a été réalisé en 2013 sous la baguette de Mark Elder (1) et le Festival de Radio France a programmé en 2015 une version de concert (2), certes raccourcie et privée des dialogues mais qui permettait de se familiariser avec une étape essentielle dans l’évolution menant aux Contes d’Hoffmann.

© Pierre Grosbois

Opéra-comique ? Le terme ne doit pas tromper : comme le remarque le chef Laurent Campellone, Fantasio est une « œuvre hybride » et relève à la fois de l’opéra-comique, de l’opéra bouffe et de l’opéra romantique. Le livret que Paul de Musset a tiré de la pièce de son frère est prétexte à un vrai chef-d’œuvre d’entre-deux, empli d’une fantaisie presque toujours recouverte d’un voile de mélancolie, baigné d’une atmosphère singulière et prégnante qui doit beaucoup aux couleurs, aux alliances de timbres de la partie orchestrale, magnifique – sur ce plan aussi les Contes d’Hoffmann se profilent.

On attendait avec impatience le démarrage hors les murs de la brève saison 2017 de l’Opéra-Comique (il faudra patienter jusqu’au mois d’avril pour que les vents de l’Alcione de Marin Marais nous ouvrent enfin les portes de la salle Favart rénovée), impatience d’autant que plus grande que Thomas Jolly signe un spectacle qui marque l’aboutissement d’un long processus d’élaboration (entamé dès la fin 2015) dont le public a pu, de temps à autre, être le témoin au cours d’ateliers participatifs.

© Marie-Eve Muger (Elsbeth) © Pierre Grobois

Le metteur en scène a pris le temps d’apprivoiser Fantasio, de faire sienne sa merveilleuse ambiguïté : le résultat est là, infiniment séduisant, vivant, finement réglé, attentif à l’esprit de la partition. Tonalité d’ensemble plutôt sombre, décors et costumes réussis de Thibaut Fack et Sylvette Dequest : tout contribue à imprimer une dimension "timburtonienne" à une production servie par une distribution sans un maillon faible - y figurent d’ailleurs des chanteurs présents à Montpellier en 2015.

C’est le cas de Marianna Crebassa : déjà remarquable dans la version de concert, elle a mûri son personnage sous la conduite de Thomas Jolly et en montre une compréhension intime, avec la juste couleur vocale et un sacré engagement. On ne résiste pas plus à la finesse, au charme, au piquant parfois aussi, que Marie-Eve Munger apporte à la princesse Elsbeth. Quel impayable tandem Jean-Sébastien Bou, épatant prince de Mantoue, et Loïc Felix, savoureux Marinoni, forment-ils ! Bridé par l’absence des dialogues à Montpellier, Bou n’avait pu donner la pleine mesure de son art dans un rôle qui se rattache aux moments les plus drôles de Fantasio. Voilà qui est fait. Pas triste non plus le généreux roi de Bavière de Franck Leguérinel, aussi convaincant que sa barbe est fournie.

Loïc Felix ( Marinoni) & Jean-Sébastien Bou (Le prince de Mantoue) © Pierre Grobois

La distribution aura été soignée jusque dans les plus petits rôles – emplois vocalement modestes mais essentiels du point de vue du jeu scénique – : Engerrand de Hys, déjà Facio à Montpellier, retrouve son personnage turbulent, Sparck et Max ne le sont pas moins, respectivement – et bien – défendus par Philippe Estèphe et Kévin Amiel, Alix Le Saux se chargeant de Flamel. Quelques répliques suffisent au merveilleux Flannan Obé pour apporter présence et étrangeté à Hartmann. Bruno Bayeux jongle avec talent entre Rutten, le tailleur et le garde suisse.

Et il ne faudrait surtout pas oublier un autre personnage essentiel de Fantasio : le chœur. Familier du monde de la scène, où il travaille souvent avec son ensemble aussi bien que comme chef d’orchestre (à la tête des musiciens des Frivolités Parisiennes entre autres), Mathieu Romano a su impeccablement préparer les membres d’Aedes.

Laurent Campellone © Charles Jurine

Quant à la fosse, elle est pour beaucoup aussi dans la réussite de ce Fantasio. Vrai bonheur que d’y retrouver Laurent Campellone, pas entendu à Paris depuis un moment, à la tête d’un Philharmonique de Radio France – très impliqué – avec lequel il  saisit et distille toutes les beautés de la partition, sans rien altérer du mouvement théâtral.
Encore huit représentations pour découvrir un Offenbach inattendu, troublant souvent, charmeur toujours. Et les choses ne font que commencer puisque Fantasio est le résultat d'une coproduction entre le Comique, le Grand Théâtre de Genève, l'Opéra national de Montpellier et le Croatian National Theater de Zagreb.

Alain Cochard

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(1) Opéra Rara ORC 51
(2) www.concertclassic.com/article/fantasio-au-festival-de-radio-france-et-montpellier-un-autre-offenbach-compte-rendu
 
 
Offenbach : Fantasio – Paris, Théâtre du Châtelet, 12 février ; prochaines représentations les 14, 16, 18, 20, 22, 24, 26 et 27 février 2017 / www.concertclassic.com/concert/fantasio
 
 Photo © Pierre Grosbois

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