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Exposition Comédies musicales à la Philharmonie de Paris – Le plein de vitamines ! – Compte-rendu

Difficile, en pénétrant dans le redoutable blockhaus qu’est la Philharmonie, de s’imaginer qu’elle peut receler un tel condensé de joie de vivre, de vitalité et de  couleurs. Grâce au commissaire de l’exposition Comédies musicales,  N.T. Binh, journaliste, auteur et maître de conférences en études cinématographiques à Paris-Sorbonne, c’est dans un bain de jouvence qu’on se trouve soudain plongé. Il est vrai que cet intellectuel qui a tant travaillé sur Claude Sautet notamment, est aussi un fou de Comédie musicale, genre auquel il rêvait de consacrer une exposition depuis toujours.

Ce rêve, on en sent l’intensité dès que l’on passe le seuil, accueillis par une série d’affiches mythiques : puis tout se met à bouger, tout chante, tout pétille et c’est d’emblée l’ivresse de Chantons sous la pluie, de 1952. Cette pièce maîtresse du genre, réalisée par Gene Kelly et Stanley Donen donne le ton de ce voyage dans un monde bien particulier: celui qui a permis sous toutes les latitudes, mais surtout depuis Hollywood où il naquit en 1927, de conter la vie, ses rires, ses drôleries et ses drames sur un ton bien particulier, celui du mouvement et de la musique mêlées. Une fille en ligne directe de la vieille opérette, mais portée par des musiques nouvelles, des rythmes nouveaux et une frénésie qui n’avait plus grand-chose avec le bon ton de grand-papa. Moins de manières, moins de satire aussi, mais l’instinct de vie, avant tout.
 

Affiche de West Side Story (de Joe Caroff) @ DR

Pourtant, rien n’est moins simple que la comédie musicale pour laquelle il faut une conjonction de talents inouïe, comme chez Walt Disney, univers émergé vers la même époque. « L’aristocratie du cinéma », ainsi la qualifie Lelouch : c’est dire que la comédie musicale a en commun avec ce que l’on attend de cette caste, de dire les choses graves avec légèreté ! Car tout n’y est pas drôle, bien loin de là, comme les mythiques Chaussons Rouges, de Michael Powell, que N.T.Binh a choisis pour l’importance de la danse, le tragique West Side Story de Bernstein-Robbins et le cruel autant que ravissant Peau d’âne de Jacques Demy, conte musical où le roi veut épouser sa fille ! Occasion pour le commissaire de proposer à la fois quelques costumes de la sublime production, lesquels n’avaient pu être conservés et pour les plus jeunes, d’endosser quelques défroques d’âne et autres pourpoints, prêtés à l’entrée.

Les Demoiselles de Rochefort, Jacques Demy (1967) © DR
 
Impossible, pour évoquer un art qui n’est que mobilité, de se contenter d’affiches et de textes : tout dans ce parcours ludique, est donc immersif, des projections géantes se succédant pour nous entraîner dans un véritable tourbillon, d’autres plus resserrées dédiées aux enfants, avec notamment quelques instants glanés dans l’irrésistible Aristochats et ses skat kats. On presse des boutons, ils vous font voyager, on enfile des costumes, on s’initie aux claquettes, on court le monde aussi, car il n’y a pas que Judy Garland, Cyd Charisse ou Fred Astaire, et Ginger Rogers, sans parler de Marylin Monroe dans Le Milliardaire, avec Montand, mais aussi Bollywood et l’inusable Devdas, ou Bjork dans Dancer in the Dark de Lars von Trier, et bien sûr les exquises Demoiselles de Rochefort de Demy-Legrand, pour lesquelles le réalisateur avait d’abord envisagé Bardot et Hepburn.

Fred Astaire dans Mariage royal (Royal Wedding), réal. Stanley Donen, 1951 © DR

 
Rien n’est plus difficile à réussir que le ludique : seule la plus grande rigueur permet de maîtriser ce genre complexe. N.T. Binh, aidé de l’inventive scénographie de Pierre Giner, permet l’accès aux secrets de fabrication, explore les trucages, comme la célébrissime scène ou Fred Astaire a l’air de danser sur les murs et au plafond, le métronome pour synchroniser musique et images pour Love me Tonight de Mamoulian en 1932, époque où tout était à inventer, étoffe le parcours de jeux vidéo. Sans oublier l’unique séquence musicale et dansante de The Artist, chef-d’œuvre en forme d’hommage au cinéma muet de Michel Hazanavicius.
 
Du temps où l’Amérique émergeait de la prohibition, de la mort du cinéma muet à la remontée de l’espoir l’après-guerre, du tap dance aux jolies et astucieuses mises en espace de La La Land, résurrection récente du genre et énorme succès mondial, c’est sur un tempo de fête que l’on plonge dans cet univers à l’incroyable énergie, au point qu’il en devient touchant à force de désir de vie et de lutte contre la grisaille du quotidien et la lourdeur des crises. Un exploit, d’une plus grande portée qu’il n’y paraît. Un éblouissement à coup sûr.

Jacqueline Thuilleux

Comédies musicales : Philharmonie de Paris, jusqu’au 27 janvier 2019 (fermeture except. les 10 et 11/ 11). Conférences, concerts, ateliers et projections en marge de l’exposition. https://philharmoniedeparis.fr/fr/exposition-comedies-musicales
En contrepoint, le Centre National du Costume de Scène à Moulins proposera une série de costumes emblématiques liés à la Comédie musicale, du 1er décembre 2018 au 17 mars 2019. www.cncs.fr

Photo : Affiche de Chantons sous la pluie, 1952 (détail). Affiche Alexis Oussenko © Dr

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