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Eugène Onéguine selon Tcherniakov - Des rires pour des larmes


Voilà, la messe est dite. On espérait depuis longtemps une production d’Onéguine qui retrouverait vraiment l’esprit de Pouchkine, sa névrose élégante et implacable, quitte à prendre quelques libertés avec sa lettre, et à en bousculer un peu l’habituel romantisme de surface. Dmitri Tcherniakov limite ses fantaisies à quelques traits pas toujours saillants : c’est Lenski qui chante les couplets de Triquet, mais si le metteur en scène voulait nous faire accroire que finalement c’est Tatiana qu’il aime – l’interversion des couples Olga-Lenski, Tatiana-Onegine est une tentation classique de bien des relectures – il aurait dû travailler son sujet un peu en amont. Ailleurs tout atteint à cette terrible perfection lapidaire que voulait Pouchkine. Pris par l’étourdissante direction d’acteur, on rageait intérieurement contre l’entracte. Ce spectacle devrait être donné d’une traite.

Tcherniakov tente une translation de surface vers le monde de Tchekhov. La salle à manger de villégiature de Madame Larina a des allures de Cerisaie, manière de rassurer par le décor et les costumes pour mieux faire rendre gorge aux caractères névrotiques : cette Tatiana torturée puis murée dans l’absence, cet Onéguine inconsistant, ce Lenski si proche encore de l’enfance, semblent aussi sortis d’une pièce d’Ibsen, et les caractères secondaires sont incroyablement silhouettés.

Vous aurez peut-être la chance de voir la Nourrice d’Emma Sarkisyan et vous ne l’oublierez plus. L’actrice est souveraine. Tatiana émouvante de Monogarova, juste un peu débordée par l’orchestre durant la lettre - on assure que l’autre tenante du rôle, Ekaterina Shcherbachenko, lui est supérieure - ; Olga assez diabolique de Margarita Mamsirova, que la mort de Lenski glace d’un coup, Onéguine sans vrai présence – mais ainsi le veut le metteur en scène - de Vladislav Sulimsky qui a absolument la voix de son emploi et, tour de force inscrit dans la réécriture de la dramaturgie du livret par la régie, Makvala Kasrashvili fait de Madame Larina un personnage essentiel. Anatolij Kotscherga est bien usé en Grémine. Miracle vocal de la soirée, le Lenski d’Andrey Dunaev, dont on ne se plaindra pas qu’il récupère un troisième air en l’empruntant à Triquet. Il y a du Lemeshev dans ce timbre, compliment suprême selon nous.

Deux pailles : Lenski tirant à la carabine durant le bal pour qu’enfin on le prenne au sérieux, cela ne marche pas vraiment ; et surtout trop de rires, qui finissent par tuer la musique. On sait qu’Eugène Onéguine peut être une histoire de fous contée par des personnages ridicules, le rappeler était bien, le souligner inutile voire nuisible. Clou du spectacle, le faux duel transformé en une chamaillerie qui tourne mal, habilement déduit de ce que Pouchkine met dans les mots de Lenski et d’Onéguine juste avant le moment fatal. En fosse Anatoly Vedernikov dirige lent et triste son Orchestre du Bolchoï, à contrario du spectacle, et sans réaliser un instant le hiatus qu’il produit.

Jean-Charles Hoffelé

Piotr Ilyitch Tchaikovski, Eugène Onéguine, Palais Garnier le 8 septembre, puis les 9, 10 et 11 septembre 2008. Réservez vos places à l’Opéra Bastille

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Photo : Damir Yusupov/Opera de Paris

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