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Eric Le Sage et Olivier Latry inaugurent la saison d’orgue de Radio France – Entre répertoire et transcription – Compte-rendu

 
 Pas de commande en création mondiale pour inaugurer la saison d'orgue de Radio France (1), mais une configuration séduisante et par la force des choses peu fréquente, la plupart des lieux ne s'y prêtant guère : orgue et piano, Olivier Latry (photo) et Éric Le Sage, la console du premier disposée à côté du second pour une écoute mutuelle réellement simultanée, à même distance de l'orgue Grenzing en fond de scène, et une optimalisation de la synchronisation, certes pas un vain mot dans un programme d'une telle exigence. Les musiciens donnaient pour la première fois ce programme, intensément approfondi au fil des mois pour des concerts qui tous, Covid oblige, furent annulés. Une première, donc, en public.
 
En direct sur France Musique et réécoutable durant un mois (2), ce programme en deux parties allant l'une et l'autre crescendo alliait dans l'équilibre répertoire et adaptation/transcription, quand une certaine mode du concert entièrement dédié à la transcription tendrait, depuis quelques années, à laisser supposer que l'immense répertoire de l'orgue ne serait plus à même de séduire le public, véritable non-sens et risque certain à terme. En ouverture, toute mystère et poésie, une adaptation de l'Hymne (1924) du compositeur belge Joseph Jongen, avant tout connu pour sa Sonata Eroica et sa Symphonie concertante, ici sous un jour intimiste, sans ignorer la puissance. Autre page à l'origine pour harmonium et piano, fameuse dans sa version pour orgue seul et ici de nouveau transposée à l'orgue : Prélude, fugue et variation de César Franck, dont le charme intemporel instaure entre les claviers un dialogue qui exige une fusion véritable. Le Diptyque de Jean Langlais, sa seule œuvre pour piano et orgue, fit ensuite grande impression : brillantissime partie de piano, Mouvement perpétuel de 1936, réutilisée à l'identique en 1974 avec adjonction d'une partie d'orgue (cf. programme de salle, 3).
 

Eric Le Sage © Franck Juery
 
Admiré comme soliste et chambriste, en particulier dans le répertoire français – mais qu'il soit permis d'attirer l'attention sur le vivifiant album consacré par le musicien et ses amis du Festival de Salon de Provence à la musique de chambre de Nino Rota (Alpha 746, 2021) –, Éric Le Sage fit entendre, avec quelle intensité et quelle compréhension de cet univers pianistique, l'un des chefs-d'œuvre de Gabriel Fauré : célèbre Nocturne n°6 op. 63, un monde en soi, riche en contrastes fondus en une même et mouvante harmonie (outre l'intégrale des Nocturnes, Éric Le Sage a enregistré pour Alpha celle de la musique de chambre de Fauré). Ou comment douloureusement rappeler que Fauré, longtemps organiste (entre 1866 et 1905) et pour finir titulaire du Cavaillé-Coll de la Madeleine, n'a hélas ! rien laissé pour l'instrument à tuyaux… Cette première partie se refermait sur L'apprenti sorcier de Paul Dukas, d'après la transcription du compositeur. Olivier Latry de préciser : « Généralement, nous utilisons les versions à quatre mains des compositeurs. […] Pour Dukas, le problème était plus délicat : la répartition entre les deux pianos fonctionne… avec deux pianos ! C'est moins le cas à l'orgue. J'ai donc réattribué à chaque instrument ce qui lui convenait le mieux. Puis la registration, là aussi, fera le reste… ». Jusqu'à parfois semer le doute dans l'oreille de l'auditeur pour identifier la source sonore, tant l'imbrication des parties et leur restitution instrumentale apparaissent là aussi fusionnelles, la palette des timbres, des thèmes et des rythmes faisant à tout moment plus que merveille.
 
Au cœur de la seconde partie figuraient deux chevaux de bataille de Louis Vierne (des Pièces de fantaisie). L'un parfaitement adapté à une salle de concert : les modernistes Feux follets, prodigieux d'inventivité et d'audaces harmoniques ; l'autre souffrant indéniablement de n'être pas portée par une acoustique capable de mystère : « la » Toccata de Vierne, ici éclatante, naturellement, mais peu incarnée en raison de l'impact sec de la matière sonore, d'autant que les anches du Grenzing, comme on l'a maintes fois souligné, ne sont guère françaises – Vierne n'aurait rien eu contre, lui qui appréciait les orgues et la vie musicale d'outre-Atlantique.
 
Les pages encadrant Vierne relevaient d'un même cas de figure : partie de piano inchangée en regard de l'original, l'orgue se substituant avec panache à l'orchestre. Introduction poétique : Adagio assai médian du Concerto en sol de Ravel, où le piano rêve seul pendant trente-trois mesures, ensuite rejoint, à l'appel d'un trille magique, par flûte, hautbois, clarinette… l'orgue ne cherchant pas ensuite à rivaliser avec la vibration des cordes – il apporte autre chose, garde les timbres et décuple l'espace. Enfin final haut en couleur, c'est peu de le dire : Rhapsody in Blue de Gershwin, qui exige tant du pianiste, Éric Le Sage prenant sur le vif tous les risques pour lui donner vie. Olivier Latry, de prime abord sur des registrations feutrées évoquant un orgue Christie de cinéma (quand d'autres mélanges étaient plus tonitruants ou moins subtilement intégrés – très marginal) fit des prodiges, répondant et supportant la partie soliste avec éclat et grandeur. Tout dans l'œuvre, thèmes, couleurs, rythmes d'une extravagante et comme insouciante complexité, se révèle mémorable – et d'avance mémorisé par l'auditeur retrouvant sans peine Gershwin au clavier et le jazz-band de Paul Whiteman au complet… Un triomphe évidemment, et ce n'est que justice, couronné en bis d'une reprise de l'ultime section de cette Rhapsody.
 
Michel Roubinet

Paris, Auditorium de Radio France, 21 septembre 2021
Prochain concert d'orgue à Radio France le 19 octobre  2021: Liesbeth Schlumberger
www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/concert-dorgue/liesbeth-schlumberger
 
 
(1) Prévu le 11 janvier 2022, le concert de l'Américain Paul Jacobs est annulé – la création de La Destruction du temps de Jean-Baptiste Robin est donc reportée.
 
(2www.francemusique.fr/emissions/le-concert-de-20h/eric-le-sage-et-olivier-latry-a-l-auditorium-de-la-maison-de-la-radio-et-de-la-musique-98349?xtmc=Latry&xtnp=1&xtcr=2
 
(3) Programme de salle : fr.calameo.com/read/0062964520ecf16cad05a?page=3
 
 
Photo © Deyan Parouchev

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