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Elliott Carter & Steve Reich par l’Ensemble TM+ au Printemps des Arts de Monte-Carlo – New York New York – Compte rendu
Déplacé in extremis au Théâtre des Variétés (1), le concert de TM+ du 1er avril, avant-dernier du Printemps des Arts de Monte-Carlo 2023, constituait l’idée fondatrice d’un festival sous-titré « Musiques d’Amérique et d’ailleurs » par son directeur artistique Bruno Mantovani. Il associait Elliott Carter (1908-2012) et Steve Reich (né en 1936), « deux créateurs aux langages diamétralement opposés ».
Pour ouvrir cet éloge des contraires, deux pièces solistes – ou presque. Gra (1993), pour clarinette seule d’Elliott Carter, un « jeu » virtuose dédié par le compositeur américain à son confrère et ami polonais Witold Lutosławski pour ses 80 ans ; Nicolas Fargeix la joue dans une adresse directe au public, facétieuse, entre pépiements d’oiseau et question sans réponse. C’est ensuite au tour de Steve Reich dans le faux solo de Cello Counterpoint (2003) où David Simpson dialogue, accompagne, affronte au violoncelle des doubles enregistrés ; malgré le silence du compositeur sur ses intentions, la ville déjà s’y « contrepointe », sa séduction dansante, ses épisodes mordants, ses mouvements contrastés.
Elise Chauvin © Alice Blangero
Rupture immédiate dès les premiers accords du cycle A Mirror on Which to Dwell (1975), comme un flash d’autant plus éblouissant que le langage d’Elliott Carter – l’instabilité, les textures instrumentales, les lignes brisées – nous fait entrer dans une autre dimension, avec peu de repères sinon l’énergie et la couleur sonore, toutes deux changeantes et sans cesse relancées. Tous les musiciens qui le connaissent, et avec eux les auditeurs familiers de TM+, savent que cette énergie injectée dans une matière musicale ciselée est en quelque sorte le secret de fabrique du chef Laurent Cuniot. Et il a suffi des premiers mots d’Anaphora (premier du cycle de six poèmes d’Elizabeth Bishop) : « Each day with so much ceremony » pour entendre combien la soprano Élise Chauvin serait en phase avec l’essence vivante du poème. Souvent utilisé, le mot « incarnation » l’est cette fois à juste hauteur, par la densité des registres de voix, par la danse discrète du corps qui les porte, par les communications de timbre et de grain avec l’ensemble instrumental.
Laurent Cuniot et l'Ensemble TM+ © Alice Blangero
Après une respiration technique que la moindre amplitude de la scène du Théâtre des Variétés rendait plus complexe, nouvelle rupture de langage, de couleur, d’évocation. City Life (1995), c’est-à-dire New York City selon Steve Reich, ville natale et ville symbolique, pour ensemble instrumental et sons enregistrés. Laurent Cuniot n’a jamais prétendu être un promoteur fervent du minimalisme américain. Dans le récent entretien qu’il nous accordait à propos de cette confrontation Reich/Carter (2), il révélait néanmoins avoir été séduit par les enjeux d’émotion et de dramaturgie de la pièce, toujours masqués par les interprétations obéissant aux canons d’un compositeur énigmatique. Autant dire qu’on attendait beaucoup du City Life by TM+, où Laurent Cuniot avait annoncé, conformément d’ailleurs au texte de la partition, « travailler sur l’amplification et les équilibres, ne pas en rester à la pertinence du propos rythmique mais créer une fluidité, une cohérence entre le monde électroacoustique et le monde instrumental afin d’exposer la dramaturgie dans une conduite renouvelée de la forme ».
Alors, disons-le simplement : mission completed ! Nous n’avions jamais entendu l’aventure musicale et humaine de City Life sonner ainsi. Est-ce parce qu’ils ont failli ne pas jouer que les musiciens ont autant montré leur plaisir d’être ensemble ? On va s’interdire la revue de détail, simplement évoquer le premier tempo ralenti pour mieux faire lever le soleil entre les tours d’une ville où l’on marche le nez en l’air, la subtilité de l’intégration des échantillons dans la matière acoustique, leur virtuosité rageuse dans le mouvement central, l’incarnation, encore, de la fameuse pulsation rythmique dans les corps – le percussionniste Florent Jodelet confiant ensuite, dans un sourire, que la vie est trop courte pour se corseter. Et l’on en venait à se dire, à l’écoute de cette figuration universelle de la vie de Big Apple, que si Gershwin s’était fait le chantre du New York d’avant-guerre, Bernstein de celui des fifties, Steve Reich avait réussi à mettre en forme le New York de la fin du XXe siècle, aux bouches d’égout fumantes et devantures fatiguées, sur le fil du rasoir entre l’énergie et le stress, la densité et la révolte, la fragilité de la mythologie américaine et l’inquiétude générée par les premières menaces de son écroulement. Un New York d’avant le 11-septembre, aujourd’hui nostalgique.
Comme il existe des « reprises définitives » supérieures à l’original, on n’est pas loin de penser que le City Life interprété ce soir-là par TM+, extrayant Steve Reich de son armure inoxydable, en est la version d’ici et maintenant.
Didier Lamare
(1) Un crash automobile dans le tunnel rendait inaccessible au matin du concert l’Auditorium Rainier III.
(2) 3 Questions à Laurent Cuniot :
www.concertclassic.com/article/trois-questions-laurent-cuniot-directeur-musical-de-lensemble-tm-resonances-americaines-au
Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, du 8 mars au 2 avril 2023 //
www.printempsdesarts.mc/
Ensemble TM+ :
www.tmplus.org/
Photo © Alice Blangero
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