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Elena de Cavalli à Martigues - La loi du désir - Compte-rendu

Pour séduire Hélène la belle, Ménélas se déguise en Amazone et propose de lui donner des leçons de lutte. Mais Thésée et son ami Pirithoüs s'éprennent des deux "femmes", et les enlèvent... Ce n'est que le début : durant trois actes (précédés d'un prologue mettant en scène le crêpage de chignons autour de la pomme de la discorde), une vingtaine de personnages va multiplier les tentatives de viol, vrais combats, faux songes, déguisements et entourloupes diverses pour faire triompher le désir, la grande affaire de l'opéra vénitien.

Sur un scénario de Giovanni Faustini (l'auteur de Calisto, Ormindo, Egisto), Nicolo Minato, librettiste de la période tardive de Cavalli, a troussé un livret un peu chargé en rôles comiques (parmi lesquels un Iro tout droit échappé du Retour d'Ulysse, de Monteverdi) et clichés (on retrouve l'assassinat manqué de Giasone, les rapports saphiques de Calisto, le double enlèvement d'Ormindo), mais désopilant et éminemment théâtral.

L'extraordinaire partition de Cavalli le nimbe de sa constante sensualité : en 1659, à cinquante-sept ans, un an avant d'être appelé à Paris pour composer l'opéra des noces de Louis XIV (le fastueux Ercole amante), le compositeur est au faîte de ses moyens. Sans renier ce récitatif modulant qui fait le cœur de l'opéra vénitien, il dispense airs ternaires ou vocalisants (entrée de Ménélas), lamenti (ceux de Tyndare, Ménesthée, Hippolyte) et autres basses obstinées (l'entrée d'Hélène), et, surtout, multiplie les ensembles d'une prodigieuse inventivité (duos voluptueux, étonnants trios et quatuors "d'action").

Le chef argentin Leonardo García Alarcón saisit à bras le corps cette musique charnelle - jamais réentendue depuis 350 ans ! -, animant du clavecin sa bien-nommée Cappella mediterranea (une douzaine de musiciens pour une vingtaine d'instruments). On pourra certes ergoter sur quelques détails de réalisation - des percussions parfois invasives, des violons parfois grinçants, une tendance à "trop" diriger des ariosos il est vrai complexes - mais, au théâtre, en tout cas, l'approche expressionniste d'Alarcón paie comptant.

Elle épouse harmonieusement la fine direction d'acteurs de Jean-Yves Ruf qui, tout en enfermant ses héros dans l'arène d'une corrida, veille à ne pas tirer l'action vers la gaudriole ou le mélodrame, mais plutôt à découvrir la labilité des rapports affectifs. On sera plus circonspect au sujet des costumes hétéroclites, vaguement XVIIe mais peu seyants, de Claudia Jenatsch et des lumières de Christian Dubet - le spectacle va heureusement beaucoup tourner (Lille, Versailles, Montpellier) et certains ajustements seront sans doute effectués.

La jeune distribution (treize chanteurs pour vingt-trois rôles) se montre globalement enthousiasmante, à l'exception d'un insuffisant Pirithoüs et de deux mezzos (Solenn' Lavanant et Anna Reinhold) assez ternes. La superbe basse de Scott Conner (Tyndare) nous a particulièrement séduit mais le grand triomphateur de la soirée reste le sopraniste Valer Barna-Sabadus, ardent Ménélas en dépit d'une diction encore floue. L'Iro plein de verve d'Emiliano Gonzalez Toro et l'Hélène langoureuse (mais au timbre pauvre en harmoniques) d'Emöke Barath contribuent au succès de cette production - entendue, en ce qui nous concerne, non pas au Jeu de Paume d'Aix mais au Théâtre des Salins de Martigues : une salle à la programmation et à l'acoustique excellentes, qui profitait cette année de l'expansion du Festival d'Aix, en synergie avec Marseille, "Capitale européenne de la culture". Espérons que de telles "délocalisations" deviennent à l'avenir monnaie courante !

Olivier Rouvière

Cavalli : Elena – Martigues, Théâtre des Salins, 27 juillet 2013 Prochaines représentations : les 10, 12, 13 et 15 novembre 2013, Opéra comédie de Montpellier (www.opera-orchestre-montpellier.fr)

Site du Théâtre des Salins : www.theatre-des-salins.fr

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Photo : Patrick Berger / ArtcomArt
 

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