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Elektra au Festival de Verbier – Horreur et bonheurs – Compte-rendu

La montagne en a tremblé ! Et pourtant à Verbier, l’on est habitué à entendre la pluie frapper sur le toit fort mince de la provisoire salle des Combins. Mais là, même le plus violent orage n’aurait pas rivalisé avec l’ampleur démoniaque de cette Elektra, dont Esa-Pekka Salonen tenait les commandes. De cette œuvre de Strauss, peut-être la plus extrême qui se puisse entendre dans le répertoire lyrique, il dit volontiers qu’elle est la plus épuisante qui soit. Et ne fait rien pour en diminuer l’impact. Bien au contraire ! Durant ces deux heures effrénées, tendus d’une violence à craquer, le chef finlandais, éternelle allure d’elfe malgré sa proche soixantaine, a mené un train d’enfer. On le retrouve tel qu’on le connaît : âpre, sec, nerveux, dur, disséquant d’une main, fouettant de l’autre, menant ses hommes avec une volonté impitoyable, et comme toujours privilégiant la dynamique à la mélodie, tandis qu’il explore les strates de l’œuvre en suivant leurs lignes de force plutôt qu’en flattant leurs couleurs.

Esa-Pekka Salonen © Aline Paley
 
 Une force qui est aussi sa faiblesse, car certes Elektra, bien plus encore que Salomé, baignée d’un orientalisme qui la rend langoureuse, doit être menée à la hache, mais elle comporte aussi quelques – rares – instants d’abandon, où les personnages cessent de hurler pour respirer, et se laissent envahir par un rien de nostalgie, de poésie. Ce qui permet au galop infernal de repartir encore plus férocement. Cela, on ne l’a pas entendu, ni dans l’air de Chrysothémis où elle dit son désir de printemps et d’amour, ni dans le grand air d’Oreste, lorsqu’il exprime une souffrance lancinante, un peu tout de même lorsque Elektra le reconnaît enfin. Pour le reste il a cravaché le Verbier Festival Orchestra, dont la jeunesse a tout pour répondre à cette énergie implacable, et l’a fait de superbe façon cette année particulièrement. Un cru mémorable, aux cordes splendides, tandis que le chef menait la danse de mort vers les sommets.

Lise Lindstrom & Esa-Pekka Salonen @ Nicolas Brodard
 
Cette impressionnante quantité de décibels, ce déchaînement n’ont pourtant pas réussi à diminuer la portée, l’intensité des voix qui criaient le drame. Une fois encore, un plateau d’une parfaite homogénéité, sans une faille dans les extrêmes de cette partition hystérique, et dominé par une extraordinaire soprano, l’Américaine Lise Lindstrom (photo), Turandot d’anthologie sur toutes les scènes du monde, sauf la française, Salomé envoûtante et Brunnhilde conquérante, bref, une diva, partout où elle promène sa silhouette souple et sa présence habitée : voix d’airain, certes, dont la puissance et l’aisance croissent jusqu’à la fin de ce rôle terrifiant, dont elle sort comme fraîche, prête à aller encore beaucoup plus loin. Et un jeu tout en finesse, autant que le lui permettait cette version de concert, où elle avait l’intelligence d’user de toutes les gammes du désespoir, de la haine et aussi de la séduction, le tout dans une tension parfaitement contrôlée. Avantage, justement, de ces absences de mise en scène, où les chanteurs, lorsqu’ils en ont l’étoffe, parviennent à s’exprimer plus subtilement et sans doute plus librement que lorsqu’ils sont bridés par un metteur en scène aux fantasmes contraignants.
 
Autres beautés de ces extrêmes vocaux, musicaux et psychologiques, les voix de bronze d’Eric Owen, qui remplaçait au pied levé Thomas Hampson, lequel avait déclaré forfait pour son premier Oreste tout en assurant ses masterclasses, et d’or fauve de la grande Anna Larsson, jouant une Clytemnestre sensuelle et plus humaine qu’à l’accoutumée. Ingela Brimberg fut, elle, une Chrysothémis emportée, brûlée par le désir d’amour, mais un rien stridente, et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke suffisant dans un rôle peu inspiré, lequel est peut- être la seule maladresse de la partition, tant la rapide apparition d’Aegisthe semble superflue.
 
Derniers coups de boutoirs ordonnés par un Salonen au bout de lui-même, stridence de la mort qui envahit le plateau, comme une nappe silencieuse, horreur de ce sang dont la musique  a ruisselé : le public est sorti en état de transe. Chacun son tour !
 
Jacqueline Thuilleux

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Strauss : Elektra (version de concert) - Verbier, salle des Combins, 27 juillet 2017 / Festival de Verbienjusqu’au 6 août 2017 www.verbierfestival.com

Photo Lise Lindstrom © Nicolas Brodard

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