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​Don Giovanni selon Jean-Yves Ruf (production Arcal) au Théâtre de l’Athénée – Encore mieux ! – Compte rendu

 
 
Le public avait dû se contenter de cinq représentations du Don Giovanni de l’Arcal en novembre 2024 à l’Athénée, série bien trop brève compte tenu de l’enthousiasme légitime qu'elle a suscité, mais qui aura suffi pour que la production de Jean-Yves Ruf se range parmi les plus belles réussites lyriques de la saison passée.
On attendait son retour dans la maison de Louis Jouvet avec une immense impatience. Avec une pointe d’inquiétude aussi : de très beaux souvenirs peuvent parfois être gâchés par une reprise... N’ayez aucune crainte ; non seulement le spectacle ne perd strictement rien de son impact dramatique mais témoigne d’une maturation dont il sort accru. Et nous ne sommes qu’au début d’une longue tournée nationale qui se prolongera jusqu’en avril prochain ...
 

Thimotée Varon (Don Giovanni) & Margaux Poguet (Donna Elvira) © Simon Gosselin

 
Consubstantialité de l’instrumental et du vocal
 

Une passerelle-balcon en fond de scène, un escalier à jardin : la sobre scénographie de Laure Pichat, sous les belles lumières de Victor Egéa, se révèle toujours aussi efficace, avec les membres du Concert de la Loge sur le plateau et Julien Chauvin dirigeant du violon – la proximité avec les chanteurs, la consubstantialité de l’instrumental et du vocal constituent l’une des clés de la réussite du projet. Car le véritable décor de l’opéra ici, c’est bien sa géniale partition et ce prima la musica, cette humilité face au chef-d’œuvre manifestée par Jean-Yves Ruf ne font que mieux traduire la complexité des personnages, à commencer par le rôle-titre.

Fluidité et énergie
 
L’orchestre au cœur du drame donc, et quel orchestre ! La saison du 10e anniversaire a été active pour Julien Chauvin et ses troupes. D’évidence, ils en sortent musicalement enrichis : leur sonorité a gagné en densité et, même si l’on sait comment débute le spectacle, on est plus encore que la première fois saisi et, littéralement, précipité dans l’ouvrage. Mozart et Da Ponte s’offrent à l’état chimiquement pur et nous tiennent en haleine au cours d'une soirée d’une fluidité et d’une énergie incroyables. D’autant plus saisissantes que – comme Gustav Mahler le pratiquait à l’Opéra de Vienne – le parti a été pris de terminer par la mort du dissoluto et de supprimer la scène finale.   

 

De g à dr : Marianne Croux ( Donna Anna), Abel Zamora (Don Ottavio), Thimotée Varon (Don Giovanni), Margaux Poguet (Donna Elvira), Michèle Bréant (Zerlina), Adrien Fournaison (Leporello) & Mathieu Gourlet (Masetto) © Simon Gosselin
 
 
Retour d’une distribution idéale
 
Mais rien ne serait possible sans l’éblouissante distribution réunie par Julien Chauvin. On ne change pas une équipe qui gagne : tous les artistes présents l’an dernier (choisis parmi 480 candidats !) sont de retour (1). Un an a passé, chacune de ces jeunes voix a mûri et investit aujourd’hui son rôle de façon plus convaincante encore. « Manipulateur tout autant que manipulé » : Thimotée Varon habite idéalement le Don Giovanni voulu par Jean-Yves Ruf, le baryton montrant autant d’autorité vocale que scénique. Adrien Fournaison offre un Leporello toujours aussi parfait – et irrésistible de poltronerie ! Le feu, l’intelligence et la sensibilité de Margaux Poguet composent une Elvira d’anthologie, tandis que Marianne Croux, déjà remarquable l’an passé, nous semble parvenir à plus de justesse psychologique encore en Donna Anna. À rebours des Don Ottavio falots, Abel Zamora, dont la voix a gagné en richesse, signe une incarnation toute de noblesse et d'humanité. L’instrument de Michèle Bréant a évolué aussi, pour offrir une Zerlina d’une fraîcheur délicieuse face à l’impeccable Masetto de Mathieu Gourlet. Les interventions de Nathanaël Tavernier en Commandeur ne sont pas nombreuses, mais toutes admirables – et suffisantes pour montrer qu’il se range parmi les très grandes basses de sa génération.
On s’en voudrait de terminer sans mentionner Félix Ramos, chef de chant de la production qui, sur un pianoforte carré, prend soin de l’accompagnement des récitatifs avec autant d’intelligence théâtrale que d’esprit.
 
Pas une minute un minute : à en en juger par l’enthousiasme du public de la première, la suite de la série à l’Athénée promet d’être prise d’assaut. Heureux ceux qui ont encore à découvrir ce Don Giovanni ... Quant à Julien Chauvin et au Concert de la Loge, notez qu’on pourra les retrouver chez Mozart, mais dans la Messe en ut mineur cette fois, à Paris (TCE) le 7 novembre et à Toulouse (Halle aux grains) dès le lendemain.
 
Alain Cochard
 

(1) Notez que les rôles de Don Giovanni et Donna Anna seront exceptionnellement tenus par Anas Séguin et Chantal Santon-Jeffery lors de la représentation du 21 octobre.
 
Mozart : Don Giovanni – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 15 octobre ; prochaines représentations les 16, 18, 19 et 21 octobre 2025 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/don-giovanni.htm
Puis en tournée jusqu’à avril 2026 : https://www.arcal-lyrique.fr/les-spectacles/les-spectacles-en-tournee/
 
 
Calendrier du Concert de la Loge : www.concertdelaloge.com/calendrier/

Photo © Simon Gosselin / Arcal

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