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Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012) - Un géant aristocrate au royaume des hommes - Hommage Concertclassic

Sa haute stature comme sa démarche d’échassier élégant le prédestinaient à être au-dessus de la mêlée. A égalité en tout cas avec les héros de la littérature et de la musique allemandes dont il fut l’un des plus ardents défenseurs dans toute la seconde moitié du XXe siècle. On a peine à croire que le plus célèbre baryton allemand d’après-guerre, Dietrich Fischer-Dieskau se soit éteint, à quelques jours de son 87e anniversaire, dans son sommeil, près de Munich, dans cette maison dont il avait dessiné les plans lui-même et où il aimait faire retraite. Il m’y avait montré un jour dans le jardin qui domine le lac Starnberg le banc de bois où il avait répété avec acharnement le rôle de Hans Sachs des Maîtres chanteurs de Nuremberg, l’un des plus lourds du répertoire wagnérien qu’il n’avait abordé qu’à l’heure de la maturité.

Cet intellectuel distingué qui a écrit plus d’une douzaine de livres, peint de très nombreux tableaux et, bien sûr, enregistré quantité de disques, savait prendre son temps pour mieux prendre son élan. C’est dans un camp de prisonniers américain qu’il fit ses débuts de chanteur en 1945. Il mettra un terme à sa carrière en 1993. Le disque permettra heureusement aux générations futures de mesurer la tâche incroyable accomplie entre ces deux dates. Car il aura été de toutes les aventures lyriques de l’après-guerre – et d’abord la réouverture des opéras endommagés par les bonbardements – de Berlin à Vienne et Munich, passant du Don Juan de Mozart au Wozzeck de Berg sans oublier les créations comme ce Roi Lear d’Aribert Reimann.

Benjamin Britten tint à l’associer à celle de son War Requiem. Furtwängler, Karajan et Fricsay furent ses chefs au côté des plus grands pianistes de Gerald Moore à Sviatoslav Richter, qui l’avait invité à la Grange de Meslay, en passant par Sawallisch ou Barenboïm. Son intransigeante rigueur morale et artistique lui valait l’estime d’Elisabeth Schwarzkopf et avait fait de lui le premier musicien allemand invité en Israël. Ce géant avait un appétit musical d’ogre : il aura tout chanté, à la scène comme au concert. Ce sont plus de 3000 Lieder auxquels il a redonné vie. Et d’abord tous ceux pour voix d’homme de son cher Schubert : près de 500 au total. Sans compter les Richard Strauss et les Hugo Wolf.

Ce qui ne l’a pas empêché de chanter en 1968 le magnifique Wotan dans L’Or du Rhin de Karajan au Festival de Pâques à Salzbourg. Il est le baryton qui incarne le mieux le triomphe du 33 tours, puis du CD. Il nous en laisse par bonheur une montagne magique qui constitue la majeure partie de l’histoire de la musique après 1945. Un trésor que nous n’avons pas fini d’inventorier.

Jacques Doucelin

Photo : Harald Hoffmann / DG
 

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